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From "nath" <vallet.nathalie@wanadoo.fr>
Date Fri, 29 Oct 1999 10:07:46 +0200
Subject globe_l: Le cynisme tranquille

Le cynisme tranquille

                           (28 octobre 1999)


   VOUS CONNAISSEZ l'histoire de Ngawang Sangdrol ? Non ? Alors il
   faut que je vous raconte. Ngawang est tibÈtaine. En 1992, elle
   avait 15 ans. Elle participait, bÍtement, ý une manifestation
   pacifique pour revendiquer le respect des Droits de l'Homme et
   de la libertÈ religieuse au Tibet. Punition : 3 ans de prison.

   En cellule, elle aura le malheur d'enregistrer des chants et des
   poËmes avec d'autres prisonniËres. 6 ans supplÈmentaires. Puis, en
   1996, pour avoir criÈ des slogans favorables ý la libertÈ du Tibet
   au sein de la prison : encore 8 ans. Soit 17 ans de prison pour
   avoir, simplement, rÈclamÈ le respect des Droits de l'Homme.
   Elle devait donc en sortir, enfin, ý l'’ge de 32 ans.

   Il n'en sera rien. Sa peine vient d'Ítre portÈe ý 21 ans. Un petit
   bonus de 4 ans : elle est accusÈe par le gouvernement chinois
   d'Ítre une des dirigeantes d'un nouveau mouvement de protestation
   qui a eu lieu les 1er et 4 mai 1998. Mouvement dont la rÈpression
   avait fait, naturellement, plus d'une dizaine de morts.

   Parmi les nombreux prisonniers qui ont reÁu une aide du ComitÈ de
   soutien au Peuple TibÈtain, 12% ont ÈtÈ arrÍtÈs, ´ inhumainement
   torturÈs ª et emprisonnÈs dans des prisons chinoises au Tibet alors
   qu'ils n'Ètaient encore que des enfants. Ces enfants martyrs
   avaient tous entre 11 et 15 ans lors de leur condamnation, et leur
   durÈe d'emprisonnement Ètait en moyenne de 2 ý 3 ans. Ils avaient
   tous eu le malheur de participer ý des manifestations pacifiques ý
   Lhassa, pour revendiquer la libertÈ religieuse au Tibet.

   Parmi ces enfants, 90% souffrent aujourd'hui de trËs graves
   sÈquelles des tortures subies lors de leurs arrestations, lors des
   interrogatoires par la police, les procureurs chinois, et plus tard
   par les gardiens de prison. La moitiÈ d'entre eux ne peuvent
   espÈrer une guÈrison totale (plusieurs ne marcheront plus jamais
   normalement, l'un ne peut plus rire, ni courir ni chanter en raison
   de douleurs dans la poitrine, une jeune fille a les pieds et les
   mains gelÈs pour avoir ÈtÈ placÈe sur des plaques en mÈtal glacÈes
   en prison). ArrivÈ ý Dharamsala, en Inde, un de ces enfants martyrs
   croyait mÍme que l'emprisonnement d'enfants Ètait une chose
   ´ normale ª. Pourquoi ? ´  Parce qu'au Tibet, il y a beaucoup
   d'enfants qui sont arrÍtÈs et jetÈs en prison pour plusieurs
   annÈes, parce qu'ils ont criÈ "Po Rangzen" ("LibertÈ au Tibet") ª,
   a rÈpondu l'enfant. L'article 17 du Code PÈnal chinois prÈcise
   pourtant que des mineurs de moins de 16 ans ne peuvent pÈnalement
   Ítre tenus responsables de leurs actes.

   Ajoutons que pour la seule annÈe 1999, trois moines tibÈtains ont
   trouvÈ la mort ý la suite des tortures qu'ils ont subies dans des
   prisons chinoises. Legshe Tsoglam, 21 ans, est mort le 12 avril peu
   aprËs avoir ÈtÈ libÈrÈ du centre de dÈtention de Gutsa o˜ il Ètait
   emprisonnÈ pour avoir refusÈ de coopÈrer ý une campagne officielle
   de ´ rÈÈducation ª. Norbu, 22 ans, qui avait lui aussi ÈtÈ internÈ
   ý Gutsa, venait de mourir quelques semaines plus tÙt. Un troisiËme
   moine, Ngawang Jinpa, est mort le 20 mai aprËs sa libÈration de la
   prison de Drapchi.  Tibet Information Network rappelle Ègalement ý
   Jacques Chirac que 32 autres TibÈtains sont morts dans des
   circonstances similaires entre septembre 1987 et janvier 1999. Vous
   remarquerez que le gouvernement chinois a toujours la dÈlicatesse
   de les libÈrer quelques jours avant leur dÈcËs.

   Pendant ce temps, en Europe...

   ´ La visite couronnÈe de succËs s'est dÈroulÈe sans heurt ª, hormis
   ´ un peu de bruit dans les rues ª qui aurait pu Ítre ÈtouffÈ avec
   un peu plus de dÈtermination, dÈclarait en fin de semaine derniËre
   le porte-parole de Jiang Zemin, ý la fin de la visite d'Etat du
   prÈsident chinois ý Londres.

   De la dÈtermination, pourtant, Tony Blair en avait eu. Les mÈdias
   britanniques s'Ètaient mÍme vivement Èmus du dispositif policier
   disproportionnÈ. Des milliers de policiers dÈployÈs pour quelques
   malheureux TibÈtains agitant tranquillement de petits drapeaux.
   ´ Une bonne partie de la presse conservatrice a tirÈ ý boulets
   rouges sur ces mÈthodes "liberticides", ý l'exception notoire du
   Times dont le propriÈtaire Rupert Murdoch, ý la tÍte d'un empire
   mordant sur la Chine, a prÈfÈrÈ participer aux divers banquets ª.

   On connaÓt bien le leitmotiv de Tony Blair : ´ ce qui compte, c'est
   ce qui marche ª. Et pour que ´ Áa marche ª avec l'ami Zemin, toute
   manifestation de protestation devait Ítre systÈmatiquement
   rÈprimÈe. ´ Lorsque le prÈsident chinois a fait sa visite
   officielle en Suisse en dÈbut d'annÈe, m'Ècrit une fidËle lectrice
   de GenËve (car sans vouloir me vanter, j'ai de fidËles lectrices ý
   GenËve), la police de Berne ne s'est pas montrÈe assez efficace et
   les manifestants pro-tibÈtains ont ÈtÈ visibles et bruyants. Et
   tout le monde a pu voir et entendre au TÈlÈjournal le prÈsident
   chinois dire ý notre prÈsidente, sur un ton furieux, que la Suisse
   venait de perdre un ami. Certains contrats seront peut-Ítre
   rÈcupÈrÈs par d'autres pays europÈens... ª.

   Et ils le sont bel et bien : des promesses de contrats
   supplÈmentaires d'un montant de 3,5 milliards de dollars pour son
   ami Tony, et 15 milliards de francs pour remercier Jacques et
   Nadette. ´ C'est bon pour l'Europe, c'est bon pour la France, c'est
   bon pour l'emploi ª, se fÈlicite gentiment Jacques Chirac.

   C'est un peu moins bon, par contre, cÙtÈ libertÈs individuelles.
   Par exemple, lorsque les manifestants des Droits de l'Homme se sont
   rendus aux alentours de l'hÙtel o˜ rÈsidait le prÈsident chinois :
   ´ La rÈaction de la prÈfecture de police est immÈdiate : 135
   interpellations. Au risque, parfois, d'embarquer, selon nos
   informations, deux personnes ’gÈes de 84 et 88 ans, plusieurs
   enfants de moins de 10 ans et mÍme un bÈbÈ de quelques mois.
   Certains envisageaient de porter plainte pour arrestation
   "abusive". DispersÈs dans trois commissariats diffÈrents de Paris,
   les manifestants devaient Ítre libÈrÈs dans la soirÈe. Evitant
   ainsi ý Jiang Zemin de les croiser ª, pouvait-on lire dans LibÈ.

   Les forces de l'ordre ont Ègalement interpellÈ lundi matin huit
   militants de l'association Reporters sans frontiËres qui
   manifestaient devant le siËge de la compagnie Air China avec un
   banderole sur laquelle Ètait inscrit ´ Jiang Zemin, six ans de
   pouvoir, 48 journalistes emprisonnÈs ª. Pas moins de 60 gendarmes
   mobiles ont ÈtÈ envoyÈs sur place pour interpeller les
   protestataires, parmi lesquels le prÈsident de l'association
   Robert MÈnard.

   ´ Par ailleurs, un homme qui brandissait un petit drapeau tibÈtain
   devant le SÈnat o˜ se rendait Jiang Zemin a ÈtÈ matraquÈ par
   plusieurs policiers, ont dÈclarÈ des tÈmoins ª, nous apprenait une
   dÈpÍche de Reuters. Il est d'ailleurs troublant que des
   informations aussi graves soient ÈvacuÈes en deux lignes ý la fin
   d'une dÈpÍche et ne soient pas largement reprises par la presse...
   Les principaux mÈdias franÁais ne seraient-ils pas, par hasard,
   contrÙlÈs par de grands groupes ayant des visÈes sur la Chine ?
   N'auraient-ils pas, comme Murdoch, ´ prÈfÈrÈ participer aux divers
   banquets ª ?

   ´ L'arrestation de manifestants pour empÍcher l'hÙte de la France
   de connaÓtre la protestation des militants des droits de l'homme
   est inadmissible ª, dÈclare un communiquÈ de la Ligue des Droits
   d'Homme. Car dans ce cas prÈcis, ce n'est pas en Chine, mais
   en France, qu'un de nos droits constitutionnels - celui de
   manifester - est allËgrement bafouÈ.

   L'ancien rÈgime soviÈtique s'efforÁait toujours de prÈsenter ý ses
   visiteurs le visage d'une dÈmocratie. En Europe, c'est exactement
   l'inverse : lorsque le client Jiang Zemin vient nous rendre visite,
   on s'efforce de lui prÈsenter le visage d'une dictature.
   ´ Le prÈsident chinois s'en repart aujourd'hui confortÈ dans l'idÈe
   qu'il est parfaitement admissible de rÈprimer des manifestations ª,
   Ècrit le Daily Telegraph. Les EuropÈens dÈcouvrent par la mÍme
   occasion que chez eux non plus, ´ la dÈmocratie n'est pas un
   concept absolu ª.

                                           PIERRE LAZULY.


   Sources : le site Tibet-Info (http://www.tibet-info.net),




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