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From wash <wash@ecn.org>
Date Mon, 29 Nov 1999 13:10:38 +0100
Subject globe_l: Manifeste du rÈseau de rÈsistance alternatif

Manifeste du RÈseau de RÈsistance Alternatif

Buenos Aires, automne 1999

1. RÈsister c'est crÈer
        Contrairement ý la position dÈfensive qu'adoptent le plus
souvent les mouvements et groupes contestataires ou alternatifs, nous
posons que la vÈritable rÈsistance passe par la crÈation, ici et
maintenant, de liens et de formes alternatives par des collectifs,
groupes et personnes qui, au travers de pratiques concrËtes et d'une
militance pour la vie, dÈpassent le capitalisme et la rÈaction.
        Au niveau international, nous assistons aujourd'hui au dÈbut
d'une contre-offensive ý la suite d'une longue pÈriode de doutes, de
marche arriËre et de destruction des forces alternatives. Ce recul a ÈtÈ

largement favorisÈ par la volontÈ de la logique nÈolibÈrale et
capitaliste de dÈtruire une bonne partie de ce que cent cinquante ans de

luttes rÈvolutionnaires avaient construit. DËs lors, rÈsister, c'est
crÈer les nouvelles formes, les nouvelles hypothËses thÈoriques et
pratiques qui soient ý la hauteur du dÈfi actuel.

2. RÈsister ý la tristesse
        Nous vivons une Èpoque profondÈment marquÈe par la tristesse qui

n'est pas seulement la tristesse des larmes mais, et surtout, la
tristesse de l'impuissance. Les hommes et les femmes de notre Èpoque
vivent dans la certitude que la complexitÈ de la vie est telle que la
seule chose que nous puissions faire, si nous ne voulons pas
l'augmenter, c'est de nous soumettre ý la discipline de l'Èconomisme, de

l'intÈrÍt et de l'ÈgoÔsme. La tristesse sociale et individuelle nous
convainc que nous n'avons plus les moyens de vivre une vÈritable vie et
dËs lors, nous nous soumettons ý l'ordre et ý la discipline de la
survie. Le tyran a besoin de la tristesse parce qu'alors chacun de nous
s'isole dans son petit monde, virtuel et inquiÈtant, tout comme les
hommes tristes ont besoin du tyran pour justifier leur tristesse.
        Nous pensons que le premier pas contre la tristesse (qui est la
forme sous laquelle le capitalisme existe dans nos vies) c'est la
crÈation, sous de multiples formes, de liens de solidaritÈ concrets.
Rompre l'isolement, crÈer des solidaritÈs est le dÈbut d'un engagement,
d'une militance qui ne fonctionne plus ´ contre ª mais ´ pour ª la vie,
la joie, ý travers la libÈration de la puissance.

3. La rÈsistance c'est la multiplicitÈ
        La lutte contre le capitalisme, qui ne peut se rÈduire ý la
lutte contre le nÈolibÈralisme, implique des pratiques dans la
multiplicitÈ. Le capitalisme a inventÈ un monde unique et
unidimensionnel, mais ce monde n'existe pas ´ en soi ª. Pour exister, il

a besoin de notre soumission et de notre accord. Ce monde unifiÈ qui est

un monde devenu marchandise, s'oppose ý la multiplicitÈ de la vie, aux
infinies dimensions du dÈsir, de l'imagination et de la crÈation. Et il
s'oppose, fondamentalement, ý la justice.
        C'est pourquoi nous pensons que toute lutte contre le
capitalisme qui se prÈtend globale et totalisante reste piÈgÈe dans la
structure mÍme du capitalisme qui est, justement, la globalitÈ. La
rÈsistance doit partir de et dÈvelopper les multiplicitÈs, mais en aucun

cas selon une direction ou une structure qui globalise, qui centralise
les luttes.
        Un rÈseau de rÈsistance qui respecte la multiplicitÈ est un
cercle qui possËde, paradoxalement, son centre dans toutes les parties.
Nous pouvons rapprocher cela de la dÈfinition du rhizome de Gilles
Deleuze : ´ Dans un rhizome on entre par n'importe quel cÙtÈ, chaque
point se connecte avec n'importe quel autre, il est composÈ de
directions mobiles, sans dehors ni fin, seulement un milieu, par o˜ il
croÓt et dÈborde, sans jamais relever d'une unitÈ ou en dÈriver ; sans
sujet ni objet. ª

4. RÈsister c'est ne pas dÈsirer le pouvoir
        Cent cinquante annÈes de rÈvolutions et de luttes nous ont
enseignÈ que, contrairement ý la vision classique, le lieu du pouvoir,
les centres de pouvoir, sont en mÍme temps des lieux de peu de
puissance, voire d'impuissance. Le pouvoir s'occupe de la gestion et n'a

pas la possibilitÈ de modifier d'en haut la structure sociale si la
puissance des liens rÈels ý la base ne le rend pas possible. La
puissance est ainsi toujours sÈparÈe du pouvoir. C'est pour cela que
nous Ètablissons une distinction entre ce qui se passe ´ en haut ª, qui
est de l'ordre de la gestion et la politique, au sens noble du terme,
qui est ce qui se passe ´ en bas ª.
        DËs lors, la rÈsistance alternative sera puissante dans la
mesure o˜ elle abandonnera le piËge de l'attente, c'est-ý-dire le
dispositif politique classique qui reporte invariablement ý un ´ demain
ª, ý un plus tard, le moment de la libÈration. Les ´ maÓtres libÈrateurs

ª nous demandent l'obÈissance aujourd'hui au nom d'une libÈration que
nous verrons demain, mais demain est toujours demain, autrement dit,
demain (le demain de l'attente, le demain de l'ajournement perpÈtuel, le

demain des lendemains qui chantent) n'existe pas. C'est pour cela que ce

que nous proposons aux maÓtres libÈrateurs (commissaires politiques,
dirigeants et autres militants tristes) c'est : la libÈration ici et
maintenant et l'obÈissanceÖ demain.

5. RÈsister ý la sÈrialisation
        Le pouvoir maintient et dÈveloppe la tristesse en s'appuyant sur

l'idÈologie de l'insÈcuritÈ. Le capitalisme ne peut exister sans
sÈrialiser, sÈparer, diviser. Et la sÈparation triomphe lorsque, petit ý

petit, les gens, les peuples, les nations vivent dans l'obsession de
l'insÈcuritÈ. Rien n'est plus facile ý discipliner qu'un peuple de
brebis toutes convaincues d'Ítre un loup pour les autres. L'insÈcuritÈ
et la violence sont rÈelles, mais seulement dans la mesure o˜ nous
l'acceptons, c'est-ý-dire o˜ nous acceptons cette illusion idÈologique
qui nous fait croire que nous sommes, chacun, un individu isolÈ du reste

et des autres. L'homme triste vit comme s'il avait ÈtÈ jetÈ dans un
dÈcor, les autres Ètant des figurants. La nature, les animaux et le
monde seraient des ´ utilisables ª et chacun de nous, le protagoniste
central et unique de nos vies. Mais l'individu n'est qu'une fiction, une

Ètiquette. La personne, en revanche, c'est chacun de nous en tant que
nous acceptons notre appartenance ý ce tout substantiel qu'est le monde.

        Il s'agit alors de refuser les Ètiquettes sociales de
profession, de nationalitÈ, d'Ètat-civil, la rÈpartition entre chÙmeurs,

travailleurs, handicapÈs, etc., derriËre lesquelles le pouvoir tente
d'uniformiser et d'Ècraser la multiplicitÈ qu'est chacun de nous. Car
nous sommes des multiplicitÈs mÍlÈes et liÈes ý d'autres multiplicitÈs.
C'est pour cela que le lien social n'est pas quelque chose ý construire
mais plutÙt quelque chose ý assumer. Les individus, les Ètiquettes
vivent et renforcent le monde virtuel en recevant des nouvelles de leurs

propres vies ý travers l'Ècran de leur tÈlÈvision. La rÈsistance
alternative implique de faire exister le rÈel des hommes, des femmes, de

la nature. Les individus sont de tristes sÈdentaires piÈgÈs dans leurs
Ètiquettes et leurs rÙles ; c'est pour cela que l'alternative implique
d'assumer un nomadisme libertaire.

6. RÈsister sans maÓtres
        La crÈation d'une vie diffÈrente passe, fondamentalement, par la

crÈation de modes de vie, de modes de dÈsirer alternatifs. Si nous
dÈsirons ce que le maÓtre possËde, si nous dÈsirons comme le maÓtre,
nous sommes condamnÈs ý rÈpÈter les fameuses rÈvolutions mais, cette
fois, dans le sens que ce terme a en physique, c'est-ý-dire celui d'un
tour complet. Il s'agit ainsi d'inventer et de crÈer concrËtement de
nouvelles pratiques et images de bonheur. Si nous pensons que nous ne
pouvons Ítre heureux qu'ý la maniËre individualiste du maÓtre et que
nous demandons une rÈvolution qui nous donne satisfaction, nous serons
condamnÈs Èternellement ý ne faire que changer de maÓtre. Car on ne peut

Ítre rÈellement anticapitaliste et accepter en mÍme temps les images de
bonheur que ce mÍme systËme gÈnËre. Si on dÈsire ´ Ítre comme le maÓtre
ª ou ´ avoir ce que le maÓtre possËde ª on reste dans la position de
l'esclave.
        Les chemins de la libertÈ sont incompatibles avec le dÈsir du
maÓtre. DÈsirer le pouvoir du maÓtre est l'opposÈ de dÈsirer la libertÈ.

Et la libertÈ c'est devenir libre, c'est une lutte. De la rÈsistance
surgissent prÈcisÈment d'autres images de bonheur et de libertÈ, des
images alternatives liÈes ý la crÈation et au communisme (dans le sens
de libertÈ et de partage que ce terme recouvre, dans le sens d'une
exigence permanente et non pas en tant que modËle de sociÈtÈ).
        Ce qu'il faut c'est crÈer un communisme libertaire, non de la
nÈcessitÈ, mais de la jouissance que donne la solidaritÈ. Il ne s'agit
pas de partager ý la maniËre triste, parce que nous sommes obligÈs, mais

de dÈcouvrir la jouissance d'une vie plus pleine, plus libre. Dans la
sociÈtÈ de la sÈparation, la sociÈtÈ capitaliste, les hommes et les
femmes ne trouvent pas ce qu'ils dÈsirent, ils doivent se contenter de
dÈsirer ce qu'ils trouvent, selon la formule de Guy Debord. La
sÈparation est ainsi sÈparation les uns des autres, de chacun de nous
d'avec le monde, du travailleur d'avec son produit, mais en mÍme temps
de chacun de nous, sÈparÈ, exilÈ de lui-mÍme. Telle est la structure de
la tristesse.

7. RÈsistance et politique de la libertÈ
        La politique, dans sa signification profonde, est liÈe aux
pratiques Èmancipatrices, aux idÈes et aux images de bonheur qui
dÈrivent d'elles. La politique est la fidÈlitÈ ý une recherche active de

la libertÈ. A l'encontre de cette conception de la politique se situe la

´ politique ª comme gestion de la situation telle qu'elle apparaÓt. Mais

cet ÈlÈment, que nous appelons gestion, prÈtend Ítre le tout de la
politique et hiÈrarchise les prioritÈs en limitant, en freinant et en
institutionnalisant les Ènergies vitales qui le dÈpassent. Pourtant la
gestion n'est qu'un moment, une t’che, un aspect.
        La gestion est reprÈsentation, et la reprÈsentation, en tant que

telle, n'est qu'une partie du mouvement rÈel. Celui-ci n'a pas besoin de

la reprÈsentation pour vivre, tandis que cette derniËre tend ý dÈlimiter

la puissance de la prÈsentation. La politique rÈvolutionnaire est celle
qui poursuit ý chaque instant la libertÈ non pas en tant qu'associÈe
essentiellement aux hommes ou aux institutions, mais comme devenir
permanent qui refuse de s'attacher, de se fondre, de ´ s'incarner ª ou
de s'institutionnaliser. La recherche de la libertÈ est liÈe ý la
constitution du mouvement rÈel, de la critique pratique, du
questionnement permanent et du dÈveloppement illimitÈ de la vie. Dans ce

sens, la politique rÈvolutionnaire n'est pas le contraire de la gestion.

Celle-ci, comme partie du tout, est une partie de la politique. En
revanche, la gestion en tant qu'elle tend ý Ítre le tout de la politique

constitue prÈcisÈment le mÈcanisme de la virtualisation qui nous plonge
dans l'impuissance.
        La politique comme telle n'est que l'harmonie de la multiplicitÈ

de la vie en lutte permanente contre ses propres limites. La libertÈ est

le dÈploiement de ses capacitÈs et de sa puissance ; la gestion n'est
qu'un moment limitÈ et circonscrit o˜ ce dÈploiement est reprÈsentÈ.

8. RÈsistance et contre-culture
        RÈsister c'est crÈer et dÈvelopper des contre-pouvoirs et des
contre-cultures. La crÈation artistique n'est pas un luxe des hommes,
c'est une nÈcessitÈ vitale de laquelle pourtant la grande majoritÈ se
trouve privÈe. Dans la sociÈtÈ de la tristesse, l'art a ÈtÈ sÈparÈ de la

vie et mÍme, l'art est de plus en plus sÈparÈ de l'art lui-mÍme possÈdÈ,

gangrenÈ qu'il est par les valeurs marchandes. C'est pour cela que les
artistes comprennent, peut-Ítre mieux que beaucoup, que rÈsister c'est
crÈer. C'est donc ý eux aussi que nous nous adressons pour que la
crÈation dÈpasse la tristesse, c'est-ý-dire la sÈparation, pour que la
crÈation puisse se libÈrer de la logique de l'argent et qu'elle retrouve

sa place au cúur de la vie.

9. RÈsister ý la sÈparation
        RÈsister c'est, aussi, dÈpasser la sÈparation capitaliste entre
thÈorie et pratique, entre l'ingÈnieur et l'ouvrier, entre la tÍte et le

corps. Une thÈorie qui se sÈpare des pratiques devient une idÈe stÈrile.

C'est ainsi que, dans nos universitÈs, il existe une myriade d'idÈes
stÈriles, mais en mÍme temps, les pratiques qui se sÈparent de la
thÈorie se condamnent ý disparaÓtre ý l'usure dans une sorte
d'auto-rÈsorption. RÈsister, dËs lors, c'est crÈer les liens entre les
hypothËses thÈoriques et les hypothËses pratiques, que tous ceux qui
savent faire quelque chose sachent aussi le transmettre ý ceux qui
dÈsirent se libÈrer. CrÈons ainsi les relations, les liens qui
potentialisent des thÈories et des pratiques de l'Èmancipation, en
tournant le dos aux chants des sirËnes qui nous proposent de ´ nous
occuper de nos vies ª, ý quoi nous rÈpondons que nos vies ne se
rÈduisant pas ý des survies, elles s'Ètendent au-delý des limites de
notre peau.

10. RÈsister ý la normalisation
        RÈsister signifie, en mÍme temps, dÈconstruire le discours
faussement dÈmocratique qui prÈtend s'occuper des secteurs et des
personnes exclues. Dans nos sociÈtÈs, il n'y a pas ´ d'exclus ª ; nous
sommes tous inclus, de maniËre diffÈrente, de maniËre plus ou moins
indigne et horrible, mais inclus tout de mÍme. L'exclusion n'est pas un
accident, ce n'est pas un ´ excËs ª. Ce qu'on appelle exclusion et
insÈcuritÈ c'est ce que nous devons voir comme l'essence mÍme de cette
sociÈtÈ amoureuse de la mort. C'est pour cela que lutter contre les
Ètiquettes implique aussi notre dÈsir de nous mettre en contact avec les

luttes de ceux que l'on nomme ´ anormaux ª ou ´ handicapÈs ª.
        Nous disons qu'il n'y a pas d'homme ou de femme ´ anormal ª ou ´

handicapÈ ª, mais qu'il existe des personnes et des modes d'Ítre
diffÈrents. Les Ètiquettes agissent comme des mini-prisons o˜ chacun de
nous est dÈfini par un niveau donnÈ d'impuissance. Or, ce qui nous
intÈresse, c'est la puissance, la libertÈ. Un handicapÈ n'existe que
dans une sociÈtÈ qui accepte la division entre forts et faibles. Refuser

ceci, qui n'est autre que la barbarie, c'est refuser le quadrillage, la
sÈlection inhÈrente au capitalisme. C'est pour cela que l'alternative
implique un monde o˜ chacun assume la fragilitÈ propre au phÈnomËne de
la vie et o˜ chacun dÈveloppe ce qu'il peut avec les autres et pour la
vie. Que ce soit la lutte pour la culture Sourde qui a su faire exploser

la prison de la taxinomie mÈdicale, comme la lutte contre la
psychiatrisation de la sociÈtÈ, et tant d'autres, loin d'Ítre de petites

luttes pour un peu plus d'espace, ce sont de vÈritables crÈations qui
enrichissent la vie. C'est pour cela que nous invitons aussi ý rÈsister
avec nous les groupes de lutte contre la normalisation disciplinaire
mÈdico-sociale sous tous ses aspects.
        La mÍme chose se produit avec les formes de disciplinarisation
propres aux systËmes Èducatifs. La normalisation opËre ici comme une
menace permanente d'Èchec ou de chÙmage. Il existe en revanche des
expÈriences parallËles, alternatives et diverses par rapport ý la
scolarisation o˜ les problËmes liÈs ý l'Èducation se dÈveloppent selon
une logique diffÈrente.         HandicapÈs, chÙmeurs, retraitÈs,
cultures en marge, homosexuels, sont toutes des classifications
sociologiques qui opËrent en sÈparant et en isolant ý partir de
l'impuissance, de ce qu'on ne peut pas faire, en rendant unilatÈral et
pauvre le multiple, ce qui peut Ítre vu comme source de puissance.

11. RÈsister au repli
        RÈsister, c'est aussi repousser la tentation d'un repli
d'identitÈ qui sÈpare les ´ nationaux ª des ´ Ètrangers ª.
L'immigration, les flux migratoires ne sont pas un ´ problËme ª mais une

rÈalitÈ profonde de l'humanitÈ depuis toujours et pour toujours. Il ne
s'agit pas d'Ítre philanthropiquement ´ bon pour les Ètrangers ª, mais
de dÈsirer la richesse produite par le mÈtissage. RÈsister c'est crÈer
des liens entre les ´ sans ª, sans toit, sans travail, sans papiers,
sans dignitÈ, sans terre, tous les sans qui n'ont pas la ´ bonne couleur

de peau ª, la ´ bonne pratique sexuelle ª, etc. : une union de sans, une

fraternitÈ des sans, non pour Ítre ´ avec ª mais pour construire une
sociÈtÈ o˜ les sans et les avec n'existent plus.

12. RÈsister ý l'ignorance
        Nos sociÈtÈs qui prÈtendent Ítre des cultures scientifiques sont

en rÈalitÈ, d'un point de vue historique et anthropologique, le type de
sociÈtÈ qui a produit le plus grand degrÈ d'ignorance que l'ÈpopÈe
humaine ait connu. Si dans toute culture les hommes ont possÈdÈ des
techniques, notre sociÈtÈ est la premiËre qui soit proprement possÈdÈe
par la technique. 90% d'entre nous sommes incapables de savoir ce qui se

passe entre le moment o˜ l'on appuie sur le bouton et le moment o˜
l'effet dÈsirÈ se produit. 90% d'entre nous ignorons la quasi-totalitÈ
des mÈcanismes et ressorts du monde dans lequel nous vivons.
        Ainsi, notre culture produit des hommes et des femmes ignorants
qui, se sentant exilÈs de leur milieu, peuvent alors le dÈtruire sans
scrupule aucun. La violence de cet exil est tel que, pour la premiËre
fois, l'humanitÈ se trouve confrontÈe ý la possibilitÈ rÈelle et
concrËte - et peut-Ítre inÈvitable - de sa destruction. On nous dit
qu'Ètant donnÈe la complexitÈ de la technique les hommes doivent
l'accepter sans la comprendre, mais le dÈsastre Ècologique montre que
ceux qui croient comprendre la technique sont loin de la maÓtriser. Il
est donc urgent de crÈer des groupes, des noyaux, forums de
socialisation du savoir pour que les hommes puissent ý nouveau prendre
pied dans le monde rÈel.
        De nos jours, la technique de la gÈnÈtique nous place ý la
lisiËre d'une possibilitÈ de sÈlection entre les Ítres humains selon des

critËres de productivitÈ et de bÈnÈfices. L'eugÈnisme, au nom du bien,
inhumanise l'humanitÈ. On nous apprend que nous pouvons ý prÈsent
procÈder ý la clonation d'un Ítre humain et notre triste humanitÈ
dÈsorientÈe ignore ce qu'est un Ítre humainÖ Ces questions sont des
questions profondÈment politiques qui ne doivent pas rester entre les
mains des techniciens. Autrement dit, la res-publique ne doit pas
devenir res-technique.

13. RÈsistance permanente
        RÈsister c'est affirmer que, contrairement ý ce que l'on a pu
croire, la libertÈ ne sera jamais un point d'arrivÈe. Paradoxalement,
l'espoir nous condamne ý la tristesse. La libertÈ et la justice
n'existent qu'ici et maintenant, dans et par les moyens qui les
construisent. Il n'y a pas de bon maÓtre ni d'utopie rÈalisÈe. L'utopie
est le nom politique de l'essence mÍme de la vie, c'est-ý-dire le
devenir permanent. C'est pourquoi l'objectif de la rÈsistance ne sera
jamais le pouvoir.
        Le pouvoir et les puissants sont d'ailleurs condamnÈs ý ne pas
trop s'Èloigner de ce qu'un peuple dÈsire. DËs lors, croire que le
pouvoir dÈcide du rÈel de nos vies relËve toujours d'une attitude
d'esclave. L'homme triste, comme nous le disions, a besoin du tyran. Il
n'est pas suffisant de demander aux hommes qui occupent le pouvoir
qu'ils Èdictent telle ou telle loi sÈparÈe des pratiques de la base
sociale. Nous ne pouvons pas, par exemple, demander ý un gouvernement
qu'il Èdicte des lois donnant aux Ètrangers les mÍmes droits qu'aux
autres si au sein de la base sociale nous ne construisons pas la
solidaritÈ qui va dans ce sens.
        La loi et le pouvoir, s'ils sont dÈmocratiques, doivent reflÈter

l'Ètat de la vie rÈelle de la sociÈtÈ. Par consÈquent, notre problËme
n'est pas que le pouvoir soit corrompu et arbitraire. Notre problËme et
notre dÈfi c'est la sociÈtÈ que ce pouvoir reflËte, autrement dit, notre

t’che en tant qu'hommes et femmes libres, c'est qu'existent les liens de

solidaritÈ, de libertÈ et d'amitiÈ qui empÍchent rÈellement que le
pouvoir soit rÈactionnaire. Il n'y a de libertÈ que dans les pratiques
de libÈration.

14. La rÈsistance est lutte
        La composition de liens augmente la puissance, la sÈparation
capitaliste la diminue. La lutte pour la libertÈ est bien une lutte
communiste pour rÈcupÈrer et augmenter la puissance. En revanche, le
capitalisme opËre par abstraction, sÈrialisation, rÈification en
dÈcomposant les liens et en nous plongeant dans l'impuissance. C'est
pourquoi la lutte pour la libertÈ et la dÈmocratie sont des devenirs
permanents qui ne trouveront jamais d'incarnation dÈfinitive. La lutte
va toujours dans le sens de la puissance, de la composition de liens, de

l'alimentation du dÈsir de libertÈ dans chaque situation concrËte.

15. RÈsistance ouvriËre
        La rÈsistance comme crÈation exige que nous pensions aussi la
question du ´ sujet rÈvolutionnaire ª, en rompant dÈfinitivement avec la

vision marxiste classique posant la classe ouvriËre comme ´ le ª sujet
rÈvolutionnaire, personnage messianique au sein de l'historicisme
moderne.
        Cependant, contrairement ý ce que prÈtendent certains
sociologues postmodernes de la complexitÈ, la classe ouvriËre ne tend
pas ý disparaÓtre, simplement, la fonction ouvriËre se dÈplace et
s'ordonne gÈographiquement. Ainsi, si dans les pays centraux il y a
numÈriquement moins d'ouvriers, la production s'est dÈplacÈe vers les
pays dits pÈriphÈriques o˜ l'exploitation brutale des hommes, des femmes

et des enfants assure d'Ènormes bÈnÈfices aux entreprises capitalistes.
Et dans les pays centraux, par le biais de l'Èvocation de ´ l'insÈcuritÈ

ª , on propose aux classes populaires des alliances nationales pour
mieux exploiter le tiers-monde.
        La production capitaliste est une production diffuse, inÈgale et

combinÈe. C'est pour cela que la lutte, la rÈsistance doit Ítre multiple

mais aussi solidaire. Il n'y a pas de libÈration individuelle ou
sectorielle. La libertÈ ne se conjugue qu'en termes universels, ou dit
autrement, ma libertÈ ne s'arrÍte pas lý o˜ commence celle de l'autre,
mais ma libertÈ n'existe que sous la condition de la libertÈ de l'autre.

        Bien qu'il n'existe pas de sujet rÈvolutionnaire ´ en soi ª,
prÈdÈterminÈ, il existe en tous cas des sujets rÈvolutionnaires
multiples qui n'ont pas de forme prÈdÈfinie ni d'incarnation dÈfinitive.

Aujourd'hui, nous voyons fleurir des coordinations, des collectifs et
des groupes de travailleurs qui dÈbordent largement dans leurs
revendications les luttes sectorielles. Ces luttes doivent, au sein de
chaque singularitÈ, de chaque situation concrËte dÈpasser le quadrillage

du pouvoir, c'est-ý-dire refuser la sÈparation entre avec emploi et sans

emploi, nationaux et Ètrangers, etc. Non parce que l'employÈ, le
national, homme, blanc doit Ítre ´ charitable ª avec le sans-emploi,
l'Ètranger, la femme, le handicapÈ, etc., mais parce que toute lutte qui

accepte et reproduit ces diffÈrences est une lutte qui, aussi violente
soit elle, respecte et renforce le capitalisme.
        Mais la fonction ouvriËre se dÈplace aussi dans un autre sens :
de l'usine classique comme espace physique privilÈgiÈ de constitution de

valeur ý la fabrique sociale dans laquelle le capital assume la t’che de

coordonner et de subsumer toutes les activitÈs sociales. La valeur
s'estompe dans toute la sociÈtÈ, elle circule ý travers les formes
multiples du travail. L'accumulation capitaliste s'Ètendant ý l'ensemble

de la sociÈtÈ, elle peut, par consÈquent, Ítre sabotÈe ý n'importe quel
point du circuit par le biais d'actes d'insubordination.

16. La rÈsistance et la question du travail
        Une partie de la construction des hiÈrarchies et des
classifications qui nous sont imposÈes part de la confusion entre la
division technique du travail et la division sociale du travail. Sous la

notion de travail nous entendons en effet deux choses diffÈrentes. D'un
cÙtÈ, une activitÈ constitutive de l'homme, anthropologique ou
ontologique, l'ensemble des relations sociales qui nous conforment, dans

la perspective matÈrialiste de la sociÈtÈ et de l'histoire. Mais d'un
autre cÙtÈ le travail est ce devoir, aliÈnant, cet esclavage moderne
sous lequel le capitalisme nous sÈpare en classes. C'est celui-lý qui
nous fait souffrir quand nous en avons et quand nous n'en avons pas.
Abolir le travail dans ce dernier sens c'est rÈaliser les possibilitÈs
de l'idÈe communiste libertaire du travail dans le premier sens.
        Les hiÈrarchies qui se fondent sur l'unidimensionnalisation de
la vie dans la question du travail aliÈnÈ, l'emploi, sont celles qui
doivent Ítre dissoutes dans l'ouverture ý la multiplicitÈ des savoirs et

des pratiques de la vie. Le travail, du point de vue ontologique,
l'ensemble des activitÈs qui effectivement valorisent le monde
(techniques, scientifiques, artistiques, politiques) est, en mÍme temps,

une source de dÈmocratisation radicale et une mise en question
dÈfinitive et totale du capitalisme.

17. RÈsister c'est construire des pratiques
        RÈsister ce n'est pas, dËs lors, avoir des opinions. Dans notre
monde, contrairement ý ce que l'on peut croire, il n'y a pas de ´ pensÈe

unique ª, il y a quantitÈs d'idÈes diffÈrentes. Mais des opinions
diffÈrentes n'impliquent pas des pratiques rÈellement alternatives et de

ce fait ces opinions ne sont que des opinions sous l'empire de la pensÈe

unique, c'est-ý-dire de la pratique unique. Il faut en finir avec ce
mÈcanisme de la tristesse qui fait que nous avons des opinions
diffÈrentes et une pratique unique. Rompre avec la sociÈtÈ du spectacle
signifie ne plus Ítre spectateur de sa propre vie, spectateurs du monde.

        Attaquer le monde virtuel, ce monde qui a besoin, pour nous
discipliner, pour nous sÈrialiser que nous soyons tous ý la mÍme heure
devant notre poste de tÈlÈvision, cela ne revient pas ý dire comment le
monde, l'Èconomie, l'Èducation, doit Ítre de maniËre abstraite. RÈsister

c'est construire des millions de pratiques, de noyaux de rÈsistance qui
ne se laissent pas piÈger par ce que le monde virtuel appelle ´ le
sÈrieux ª. Etre rÈellement sÈrieux ce n'est pas penser la globalitÈ et
constater notre impuissance. Etre sÈrieux implique de construire, ici et

maintenant, les rÈseaux et liens de rÈsistance qui libËrent la vie de ce

monde de mort. La tristesse est profondÈment rÈactionnaire. Elle nous
rend impuissants. La libÈration, finalement, est aussi libÈration des
commissaires politiques, de tous ces tristes et aigres maÓtres
libÈrateurs. C'est pour cela que rÈsister passe aussi par la crÈation de

rÈseaux qui nous sortent de cet isolement.
        Le pouvoir nous souhaite isolÈs et tristes, sachons Ítre joyeux
et solidaires. C'est en ce sens que nous ne reconnaissons pas
l'engagement comme un choix individuel. Nous avons tous un degrÈ
dÈterminÈ d'engagement. Il n'y a pas de ´ non militants ª ou ´
d'indÈpendants ª . Nous sommes tous liÈs. La question est de savoir
d'une part, ý quel degrÈ, et d'autre part, de quelle cÙtÈ de la lutte on

est engagÈ.

18. RÈsister c'est crÈer des liens
        Il est indispensable de rÈflÈchir sur nos pratiques, les penser,

les rendre visibles, intelligibles, comprÈhensibles. Pouvoir
conceptualiser ce que nous faisons constitue une part de la lÈgitimitÈ
de nos constructions et participe de la socialisation des savoirs entre
les uns et les autres : Ítre nous-mÍmes lecteurs, penseurs et
thÈoriciens de nos pratiques, Ítre capables d'apprÈcier la valeur de
notre travail pour Èviter qu'on nous appauvrisse par des lectures
normalisatrices.
        Ce manifeste n'est pas une invitation ý adhÈrer ý un programme
et encore moins ý une organisation. Nous invitons simplement les
personnes, les groupes et les collectifs qui se sentent reflÈtÈs par ces

prÈoccupations ý prendre contact avec nous afin de commencer ý briser
l'isolement. Nous vous invitons aussi ý photocopier et ý diffuser ce
document par tous les moyens ý votre disposition.
        Tous ceux qui souhaiteraient faire des commentaires,
propositions, etc., seront les bienvenus. Nous nous engageons ý les
faire circuler au sein du RÈseau de RÈsistance Alternatif. Nous ne
souhaitons pas Ètablir un centre ou une direction et nous mettons ý la
disposition des camarades et amis l'ensemble des contacts du RÈseau pour

que le dialogue et l'Èlaboration de projets ne se fasse pas de maniËre
concentrique.

19. RÈsistance et collectif de collectifs
        Beaucoup de nos groupes ou collectifs possËdent des publications

ou des revues. Le rÈseau se propose d'accumuler et de mettre ý
disposition des autres groupes ces savoirs libertaires qui peuvent aider

et potentialiser la lutte des uns et des autres. Des centaines de luttes

disparaissent par isolement ou par manque d'appui, des centaines de
lutte sont obligÈes de partir de zÈro, et chaque lutte qui Èchoue n'est
pas seulement une ´ expÈrience ª, chaque Èchec renforce l'ennemi. D'o˜
la nÈcessitÈ de nous entraider, de crÈer des ´ arriËre-gardes solidaires

ª pour que chaque personne qui en quelque point du monde lutte ý sa
maniËre, dans sa situation, pour la vie et contre l'oppression puisse
compter sur nous comme nous espÈrons pouvoir compter sur elle.
        Le capitalisme ne tombera pas d'en haut. C'est pour cela que
dans la construction des alternatives il n'y a pas de petit ou de grand
projet.

Saluts fraternels ý tous les frËres et súurs de la cÙte
Salut de pirates : ý la diffÈrence des corsaires, trafiquants
esclavagistes et mercantilistes des mers, les pirates Ètaient
communistes et crÈaient des communes libres sur les cÙtes o˜ ils
s'arrÍtaient.

El Mate (Argentine), MËres de la place de Mai (Argentine), Collectif
Amautu (PÈrou), Groupe Chapare (Bolivie), Collectif MalgrÈ Tout (Paris),

Collectif Che (Toulon), Collectif Contre les Expulsions (LiËge), Centre
Social (Bruxelles).

Site internet : www.sinectis.com.ar/u/redresistalt
E-mail : redresistalt@sinectis.com.ar
BoÓte postale : C.C. 145, 1422 suc. 22 (B), Ciudad AutÛnoma de Buenos
Aires, Argentine.





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