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Date Wed, 22 Dec 1999 19:03:33 +0100
Subject globe_l: Comment nous avons bloque l'OMC

Comment nous avons bloquÈ l'OMC
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Deux semaines se sont ÈcoulÈes depuis ce matin o˜ je me suis levÈe avant
l'aube pour rejoindre le blocus qui a empÍchÈ le rencontre inaugurale de
l'OMC. Depuis que je suis sortie de prison, je lis les compte rendus de
presse et j'essaie de comprendre la diffÈrence entre ce que je sais Ítre
arrivÈ et ce que l'on raconte.

Pour une fois, lors d'une manifestation de protestation politique, nous
disions la vÈritÈ lorsque nous chantions "le monde entier regarde !". Je
n'ai jamais vu une action politique attirer une telle attention de la part
des media. Et pourtant, l'essentiel de ce qui a ÈtÈ Ècrit est d'une telle
inexactitude que je n'arrive pas ý dÈcider si les journalistes devraient
Ítre accusÈs de complot ou, simplement, d'incompÈtence. Il a ÈtÈ sans cesse
question de quelques vitrines brisÈes, mais ý peu prËs pas du Direct Action
Network (DAN), le groupe qui a rÈussi ý organiser l'action directe non
violente qui a fini par rassembler plusieurs milliers de personnes. La
vÈritable histoire de ce qui a fait un succËs de cette action n'est pas
dite.

La police, lorsqu'elle dÈfend la maniËre brutale et stupide dont elle a fait
face ý la situation, prÈtend qu'elle n'Ètait "pas prÈparÈe ý la violence".
En rÈalitÈ, ce ý quoi ils n'Ètaient pas prÈparÈs, c'Ètait ý la non violence,
ainsi qu'au nombre et ý l'engagement des activistes non violents - et cela
mÍme si le blocus fur organisÈ lors de rÈunions ouvertes, publiques et si
notre stratÈgie n'avait rien de secret. Je soupÁonne que notre mode
d'organisation et de prise de dÈcision Ètait tellement Ètranger ý leur idÈe
de ce que signifie la direction d'un mouvement qu'ils n'ont littÈralement
pas pu voir ce qui se passait sous leurs nez.

Lorsque ceux qui honorent l'autoritÈ pensent organisation, ils s'imaginent
une personne, d'habitude un homme, ou un petit groupe de personnes debout et
disant aux autres quoi faire. Le pouvoir est centralisÈ et exige
l'obÈissance.

Voici quelques aspects de notre modËle d'organisation.


EntraÓnement et prÈparation :

Pendant les semaines et les jours qui ont prÈcÈdÈ le blocus, des milliers de
gens ont reÁu un entraÓnement ý la non violence - un cours de trois heures
qui combinaient l'histoire et la philosophie de la non violence avec des
pratiques rÈelles impliquant des jeux de rÙle o˜ il s'agit de rester calme
dans des situations tendues, d'utiliser des tactiques non violentes, de
rÈpondre ý la brutalitÈ, et de prendre des dÈcisions ensemble. Des milliers
ont Ègalement suivi un entraÓnement de deuxiËme niveau portant sur la
prÈparation au sÈjour en prison, les stratÈgies et tactiques de solidaritÈ,
les aspects judiciaires. Il y a eu Ègalement des entraÓnements ý propos des
premiers secours, des tactiques de blocus, du thÈ’tre de rue, de la
"facilitation" des rencontres et d'autres compÈtences encore. Alors que des
milliers d'autres personnes, qui n'avaient bÈnÈficiÈ d'aucun de ces
entraÓnements, ont pris part au blocus, ces groupes prÈparÈs ý faire face ý
la brutalitÈ de la police ont pu fournir un noyau de rÈsistance et de force..
Et en prison, j'ai vu beaucoup de situations qui se dÈroulaient juste comme
dans les jeux de rÙle. Les activistes ont ÈtÈ capables de protÈger les
membres de leur groupe qui risquaient d'Ítre isolÈs ou sÈparÈs des autres en
utilisant les tactiques proposÈes pendant l'entraÓnement. Les tactiques de
solidaritÈ que nous avions prÈparÈes ont bel et bien fait obstacle au
fonctionnement du systËme.



Accords pris en commun

Il a ÈtÈ demandÈ ý chaque participant ý l'action d'accepter les principes de
base non violents : s'abstenir de violence physique ou verbale, ne pas avoir
d'armes, n'amener ni ne consommer de drogue illicite ou d'alcool, et ne pas
dÈtruire les biens privÈs. Cet accord n'a ÈtÈ demandÈ que pour l'action du
30/11 - il ne s'agissait pas d'en faire une philosophie de vie et le groupe
reconnaissait qu'il y a des opinions trËs divergentes ý propos de certains
de ces principes.


Groupes d'affinitÈ, clusters et Conseils de porte-paroles

Les participants ý l'action Ètaient organisÈs en petits groupes appelÈs
groupes d'affinitÈ. Chaque groupe Ètait habilitÈ (empowered) ý prendre ses
propres dÈcisions ý propos de la maniËre de participer au blocus. Il y a eu
des groupes qui ont fait du thÈ’tre de rue, d'autres se sont prÈparÈs ý
s'enchaÓner ý des b’timents, des groupes avec des calicots ou de
marionnettes gÈantes, d'autres prÈparÈs simplement ý tenir ensemble bras
dessus bras dessous et ý arrÍter de maniËre non violente les dÈlÈguÈs. Dans
chaque groupe, il y avait en gÈnÈral des gens prÈparÈs ý aller en prison,
d'autres qui seraient leur personne de soutien lorsqu'ils seraient en
prison, et une personne qualifiÈe en matiËre de premiers secours.
Les groupes d'affinitÈ Ètaient organisÈs en clusters. La zone qui entoure le
Convention Center fut divisÈe en treize sections, les groupes d'affinitÈs et
leur clusters s'engageant ý tenir une section particuliËre. Il y avait
Ègalement quelques groupes "volant" - libres de se dÈplacer lý o˜ on avait
le plus besoin d'eux. Tout ceci fut coordonnÈ aux rencontres du Conseil des
porte-paroles, o˜ chaque groupe d'affinitÈ envoya un(e) reprÈsentant(e) qui
Ètait habilitÈ(e) ý parler pour le groupe.
En pratique, ce mode d'organisation signifiait que les groupes pouvaient se
dÈplacer et rÈagir avec une grande souplesse pendant le blocus. S'il y avait
appel ý plus de gens ý un endroit donnÈ, un groupe d'affinitÈ pouvait
Èvaluer le nombre des personnes tenant le front lý o˜ ils Ètaient et choisir
de se dÈplacer ou non. Lorsqu'ils avaient affaire au gaz lacrymogËne, aux
jets de poivre, aux balles de caoutchouc et aux chevaux, chaque groupe
pouvait Èvaluer sa propre capacitÈ ý rÈsister ý la brutalitÈ. En
consÈquence, les fronts du blocus ont tenu face ý une incroyable violence
policiËre. Lorsqu'un groupe de personnes Ètait finalement balayÈ par le gaz
et les b’tons, un autre viendrait prendre sa place. Et pourtant il y avait
aussi ý faire pour ceux des groupes d'affinitÈ qui rÈunissaient des gens
plus ’gÈs, avec des problËmes de poumons ou de dos : tenir le front dans les
zones relativement tranquilles, interagir et dialoguer avec les dÈlÈguÈs ý
qui nous faisions faire demi-tour, et soutenir la marche du travail qui a
rassemblÈ des dizaines de milliers de personnes au milieu de la journÈe.
Aucune direction centralisÈe n'aurait pu coordonner la scËne au milieu du
chaos, et aucune n'Ètait nÈcessaire - notre organisation organique, autonome
s'est montrÈe beaucoup plus puissante et efficace. Aucun personnage
d'autoritÈ n'aurait pu contraindre des gens ý tenir les fronts du blocus
sous les gaz lacrymogËne - mais des gens habilitÈs (empowered), libres de
prendre leurs propres dÈcisions, ont choisi de le faire.


Prise de dÈcision par consensus

Les groupes d'affinitÈ, clusters et conseils de porte-paroles rassemblÈs
dans le DAN ont pris leurs dÈcisions par consensus - une procÈdure qui
permet ý chaque voix d'Ítre entendue et qui met l'accent sur le respect
envers les opinions minoritaires. Le consensus faisait partie de
l'entraÓnement ý la non violence et ý la prison, et nous avons aussi essayÈ
de proposer un entraÓnement spÈcial ý la "facilitation" des rencontres. Pour
nous, consensus ne veut pas dire unanimitÈ. Le seul accord obligatoire Ètait
d'agir en suivant les principes de base non violents. Au-delý de cela, les
organisateurs du DAN ont donnÈ un ton valorisant l'autonomie et la libertÈ
plutÙt que la conformitÈ, et ils ont mis l'accent sur la coordination sans
recours aux pressions demandant la conformitÈ. Par exemple, notre stratÈgie
de solidaritÈ impliquait de rester en prison, o˜ nous pouvions utiliser la
force du nombre pour protÈger les personnes qui auraient ÈtÈ particularisÈes
pour des inculpations plus graves ou un traitement plus brutal. Mais
personne n'a subi de pression pour rester en prison et n'a ÈtÈ culpabilisÈ
s'il choisissait d'Ítre libÈrÈ sous caution avant les autres. Nous savions
que chacun a ses propres besoins, et sa propre situation de vie, et que ce
qui Ètait important Ètait d'avoir participÈ ý l'action au niveau o˜ chacun
le pouvait. Si nous avions fait pression pour que tout le monde reste en
prison, beaucoup auraient rÈsistÈ, auraient ÈprouvÈ du ressentiment et se
seraient sentis manipulÈs. Comme nous ne l'avons pas fait, comme les gens se
sont sentis habilitÈs (empowered) et non manipulÈs, la grande majoritÈ des
gens ont dÈcidÈ pour eux-mÍmes de rester, et beaucoup ont ÈtÈ beaucoup plus
loin que ce qu'ils avaient pensÈ faire.


Vision et Esprit

L'action comprenait de l'art, de la danse, des cÈlÈbrations, des rituels, de
la magie. Elle Ètait plus qu'une protestation; elle Ètait crÈation d'une
vision d'abondance vÈritable, cÈlÈbration de la vie, de la crÈativitÈ et de
la connexion, elle est restÈe pleine de joie face ý la brutalitÈ et a donnÈ
vie aux forces crÈatives qui peuvent vÈritablement s'opposer ý celles de
l'injustice et du contrÙle. Beaucoup de personnes ont mis en action la force
de leur pratique spirituelle personnelle. J'ai vu des bouddhiste renvoyer
des dÈlÈguÈs furieux avec gentillesse et amour. Nous, les sorciËres, avons
procÈdÈ ý des rituels avant l'action et en prison, et avons appelÈ les
ÈlÈments de la nature pour nous soutenir. J'ai reÁu le Reiki quand j'Ètais
malade et nous avons cÈlÈbrÈ Hanouka sans les bougies, mais avec les
bÈnÈdictions et l'histoire de la lutte pour la libertÈ religieuse. Nous
avons eu la force spirituelle de chanter dans nos cellules, de danser une
danse spirale dans le cachot de police, de rire des centaines d'humiliations
sordides qu'inflige la prison, de nous rÈconforter les un(e)s les autres, de
nous Ècouter aux moments de tension, d'utiliser notre temps ensemble pour
continuer ý transmettre, ý organiser, ý crÈer la vision de l'Èclosion de ce
mouvement. Pour moi, ce fut l'une des expÈriences spirituelles les plus
profondes de ma vie.

J'ai Ècrit ceci pour deux raisons. D'abord je veux dire l'importance du DAN..
Ses organisateurs ont accompli un travail brillant et difficile, ils ont
appris et appliquÈ les leÁons des vingt derniËres annÈes d'action directe
non violente, et ont crÈÈ face ý une opposition Ènorme une action puissante,
rÈussie et susceptible de changer la vie, une action qui a transformÈ le
paysage politique global et a radicalisÈ une nouvelle gÈnÈration. Ensuite,
parce que la vÈritable histoire de la maniËre dont cette action a ÈtÈ
organisÈe propose un modËle puissant ý partir duquel les activistes peuvent
apprendre. Seattle n'est qu'un dÈbut. Devant nous est la t’che de construire
un mouvement global qui renverse le contrÙle de la finance et de
l'industrie, et crÈe une nouvelle Èconomie basÈe sur l'honnÍtetÈ (fairness)
et la justice, sur une Ècologie saine et un environnement salubre, une
Èconomie qui protËge les droits humains et soit au service de la libertÈ.
Bien des campagnes d'action sont devant nous, et nous avons le droit
d'apprendre les vraies leÁons de nos rÈussites. .

(Je vous prie de transmettre ce texte, de le communiquer et de le reproduire
en toute libertÈ. Vous n'avez pas besoin de ma permission, quoique je serais
heureuse de savoir o˜ il abouti. Ce serait gentil d'inclure un lien au
Reclaiming website o˜se trouve aussi mon site personnel :
www.reclaiming.org/, comme aussi d'ajouter la note suivante :

Le Direct Action Network a besoin de votre aide pour les frais de dÈfense
juridique qui ne cessent d'augmenter. Tout don sera prÈcieux. S'il vous
plaÓt, manifestez votre soutien. Des chËques peuvent Ítre envoyÈs ý
l'adresse de Cascadia Art and Revolution et envoyÈs au DAN, PO Box 95113,
Seattle, WA 98145.

Merci, et soyez bÈnis, Starhawk











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