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From cerinsi@samizdat.net
Date Wed, 26 Jan 2000 16:50:24 +0100
Subject globe_l: Cote d'Ivoire

Cote d'Ivoire



Ce qui n'a pas ete dit.

Bedie a Paris. Comment Guei compte recuperer les milliards detournes. Quel
role a joue la France...

Francois Soudan, de Jeune Afrique




Face a la fantastique evasion d'un petit bouddha tibetain, plus encore que
face au general Guei, Henri Konan Bedie n'avait aucune chance. Pour son
premier entretien d'exil, l'ancien chef de l'Etat ivoirien avait choisi un
support, Le Figaro Magazine, et un intervieweur proche, son quasi-biographe
Eric Laurent. Las. Programmee pour le 15 janvier, la " verite " de Bedie,
sans nulle doute passionnante, a cede la place au recit de la cavale en Inde
du jeune lama de 14 ans. Une fuite plus glorieuse, a l'evidence, et plus
mediatique que celle d'un president africain dechu. A Paris, au quatrieme
etage du 1, rue Beethoven, dont l'interphone porte ses simples initiales,
HKB, Bedie recoit un peu dans son petit bureau aux rideaux toujours fermes
et reflechit beaucoup. " Il faut le comprendre, il se remet ", expliquait
recemment son ami Michel Dupuch a un Ivoirien qui s'etonnait de ne pas
encore avoir ete recu. Pourtant, l'un de ses rares visiteurs l'a trouve "
serein, analysant ses erreurs, et determine a se porter candidat a la
prochaine election presidentielle ".

Meme si ce dernier point n'est pas forcement un gage de lucidite politique,
Bedie ne semble pas ? ou pas encore ?abattu. Syndrome classique du chef
renverse, persuade, dans une premiere phase, que la reconquete du pouvoir
est a portee de main, incapable, en somme, d'assumer la situation ?
Peut-etre. L'ex-president, en tout cas, " fourmille de projets ". Une
tribune dans Le Monde date du 15 janvier, un voyage a Alger pour y
rencontrer le president en exercice de l'OUA, Abdelaziz Bouteflika, avant le
sommet de Lome, un autre a Washington pour remercier Bill Clinton et
Madeleine Albright d'avoir condamne le coup d'Etat, un saut en Afrique du
Sud pour mobiliser Thabo Mbeki... Son analyse de la situation interieure
ivoirienne se veut sans appel : Guei ne tiendra pas, Ouattara et Gbagbo vont
s'entredechirer, le peuple le rappellera pour eviter la guerre civile.
L'exil, il est vrai, nourrit parfois bien des fantasmes.

Dans les semaines a venir, Henri Konan Bedie va en effet devoir affronter un
tout autre probleme : les developpements, peut-etre devastateurs, de
l'operation " mains propres " declenchee a Abidjan par Robert Guei. Au cours
de la semaine du 10 janvier, l'avocat Jacques Verges et l'ex-" petit juge "
francais Thierry Jean-Pierre se sont en effet rendus dans la capitale
ivoirienne, ou ils ont ete recus par le president et par une demi-douzaine
de ministres. Verges est, on le sait, le defenseur d'Alassane Ouattara, et
Jean-Pierre, depute europeen proche d'Alain Madelin, est membre de la
Commission de controle budgetaire du Parlement de Strasbourg ? interessee au
premier chef par le scandale du detournement, il y a un an, des fonds
communautaires alloues a la Cote d'Ivoire. Originaires de l'ile de la
Reunion, tous deux sont amis, et Jean-Pierre prepare meme un livre sur...
Verges. Aussi, lorsque le second propose au premier de l'accompagner a
Abidjan, l'hesitation est de courte duree, en depit des mises en garde de
l'ambassade de France en Cote d'Ivoire, qui deconseille a l'ancien juge de
s'y rendre : " La situation est chaotique, ce n'est pas le moment. "

Qu'ont fait les deux hommes ? Une fois n'est pas coutume, Verges est muet.
Silence de sphinx et petit sourire gourmand. En fait, J.A. a appris de bonne
source a Abidjan que l'avocat est rentre a Paris le 13 janvier (l'un de ses
compagnons de voyage n'etait autre que l'ambassadeur de France Francis Lott,
qu'il n'a pas rencontre), muni d'un mandat en bonne et due forme signe de
Robert Guei. Date du 11 janvier, ce document donne tout pouvoir a Jacques
Verges d'enqueter en Suisse pour le compte de l'Etat ivoirien sur les "
detournements " et " blanchiment d'argent " survenus dans le cadre de
l'affaire des fonds europeens destines aux secteurs de la sante et de la
decentralisation. Une bagatelle de 18 milliards de francs CFA evapores en
surfacturations diverses, prestations fictives remunerees et contrats
attribues sans appels d'offres.

Trois personnalites de l'ancien pouvoir sont nominativement visees par ce
mandat : l'ex-ministre de la Sante Maurice Kakou Guikahue, son collegue de
l'Interieur Emile Constant Bombet (tous deux sont en residence surveillee a
Abidjan) et... Henriette Bedie, l'epouse du president dechu, dont l'ONG "
Servir " aurait indument beneficie de l'aide europeenne. Certes, un mandat
d'enquete ne signifie rien juridiquement en termes de culpabilite. Mais il
traduit bien la volonte de Guei d'" aller jusqu'au bout " dans son operation
mains propres. D'autant que d'autres affaires vont tres bientot etre
rouvertes : celle du Libanais Roger Nasra, par exemple, ou encore celle des
privatisations de complaisance dont ont beneficie la famille et l'entourage
de Bedie.

Ainsi, le nouveau ministre de l'Energie, Daouda Thiam, a-t-il confie etre "
tombe sur un pot aux roses ", a peine entre en fonctions : la Cote d'Ivoire
aurait achete, pour 1999, une quantite de gaz tres nettement superieure a
celle que requiert sa consommation et qui lui aurait effectivement ete
livree. Ou est passee la difference ? " Il suffit de se baisser pour
ramasser un scandale ", commente l'un des chefs du Comite militaire.

Tous vont-ils eclater ? Ce n'est pas sur. D'aucuns, qui concernent certaines
personnalites francaises, pourraient ainsi faire l'objet de discretes
negociations. Les autres etant tactiquement distilles tout au long de cette
annee electorale, a la maniere d'un feuilleton dont l'une des vertus sera de
mieux faire accepter aux Ivoiriens l'inevitable et drastique cure
d'austerite qui les attend. Alimenter cette serie ne sera pas trop
difficile, tant les membres de l'ancien regime semblent prets a se mettre a
table et a " balancer " leurs collegues en echange d'une hypothetique
impunite.

Nul doute que ces rebondissements seront suivis avec attention a Paris, ou
l'on n'a pas fini de faire les comptes du putsch de Noel. Ainsi apprend-on
que la tentation d'intervenir militairement pour " securiser " la communaute
francaise d'Abidjan (ce qui aurait eu comme effet probable de causer des
pertes parmi les civils et... de faire echouer le coup d'Etat) a ete tres
forte, voire explicitement souhaitee par l'Elysee. " La cohabitation nous a
sauves de cette folie ", commente l'ancien ministre de la Cooperation (et
actuel " Monsieur Afrique " du groupe Bollore) Michel Roussin, lequel ne
cache pas son admiration devant " l'esprit de discipline " des putschistes :
" A Abidjan et a Bouake, les mutins nous avaient emprunte, a la Scac, des
vehicules et des camions. Ils nous ont ete rendus quatre jours plus tard,
intacts. "

En fait, seul l'inspecteur general des armees, le tres " politique " Raymond
Germanos, promotionnaire de Robert Guei a l'Ecole superieure de guerre et
bon connaisseur du continent (ou l'une de ses dernieres missions a ete
d'apaiser la tension entre Nouakchott et Paris, suite a l'arrestation du
capitaine Ely Ould Dah), semble avoir compris, des les premieres heures le
23 decembre, que le coup d'Etat etait irreversible. S'il a pese de tout son
poids contre une intervention, c'est parce qu'il savait que ce putsch
n'etait pas antifrancais et que Bedie n'avait aucun moyen de retourner la
situation.

Presentes comme les deux boucliers du regime, la Gendarmerie et la Garde
presidentielle (GP) ivoiriennes etaient en effet profondement minees de
l'interieur. Formee par des instructeurs francais, anciens du Groupement de
securite de la presidence de la Republique a l'epoque de Francois
Mitterrand, la GP ne comptait pas en son sein une unite d'elite capable de
reagir et de resister. " Nous etions en train d'envisager la creation d'une
reserve gouvernementale a Dimbokro, qui aurait pu jouer ce role, confie l'un
de ses instructeurs, mais ce projet trainait, faute de moyens. " Faute de
moyens egalement, mais aussi de chefs respectes, la Gendarmerie etait depuis
longtemps travaillee de l'interieur par l'indiscipline et le laxisme. Ce
corps, qui comprend en theorie un groupe d'intervention operationnel,
l'UIGN, forme lui aussi par les Francais, ne s'est pas remis du depart du
general Joseph Tanny, nomme en 1997 a la tete du Conseil national de
securite. Tanny, qui n'a pas ete inquiete par les auteurs du coup d'Etat
(recu par Bedie le 24 decembre au matin, il lui avait conseille de se
montrer conciliant a l'egard des mutins), etait aime de ses hommes. Son
successeur, le general Severin Kouame, a, lui, perdu ce qu'il lui restait
d'autorite lorsque des inconnus, quelques jours avant le putsch, l'ont
enleve et abandonne en pleine nuit, a demi-nu, apres l'avoir devalise et
s'etre enfui au volant de sa voiture. " Depuis deux ans, nous avons fait
note sur note au president Bedie, attirant son attention sur la
deliquescence de l'armee et sur le loyalisme aleatoire de ses chefs,
explique un conseiller militaire francais reconverti dans le consulting
prive. Un audit de tous les corps a meme ete realise par des officiers
depeches depuis Paris. Ses conclusions etaient alarmantes. Rien. Aucune
reaction. Nous avons egalement fait savoir, tout recemment, a Bedie, que le
retour du contingent ivoirien de la Minurca ? quelque deux cents hommes ?
risquait d'etre problematique. Lorsqu'ils sont a l'exterieur, les gars
discutent avec leurs camarades venus d'autres pays et acquierent un etat
d'esprit tres revendicateur. Cet effet peacekeeping s'est deja fait
ressentir au Senegal, au Burkina et, aujourd'hui, au Benin. Il n'y avait
aucune raison pour que la Cote d'Ivoire y echappe. Rien. Aucune reaction. "
Henri Konan Bedie etait-il politiquement autiste ? Une anecdote, qui suscita
nombre de commentaires enflammes, semble le demontrer. Vendredi 24 decembre
en debut d'apres-midi, Radio France internationale diffuse la fameuse
interview au cours de laquelle le president, qui vient d'etre destitue par
le general Guei, appelle a la resistance. Or cette interview a a la fois une
histoire et une face cachee. Tout commence ce meme vendredi a onze heures
lorsque Jesus Kouassi Yobouet, conseiller en communication de Bedie, appelle
RFI a Paris : " Le president a une declaration a faire. " Elle est courte,
se resume a un " je reste a mon poste de commandement " solennel, mais elle
ne sera pas diffusee. A midi, en effet, Robert Guei proclame la destitution
d'Henri Konan Bedie. Aussitot, Jean Karim Fall, redacteur en chef, joint
Georges Ouegnin, le tres affable directeur du protocole d'Etat. Il lui
explique que la declaration enregistree de Bedie est " hors sujet " et qu'il
faut l'actualiser, compte tenu de ce que vient de dire le general Guei. A
quin ze heures, Ouegnin rappelle et transmet le telephone a Henri Konan
Bedie, que Fall interroge aussitot. L'interview durera sept minutes, dont
deux seulement seront diffusees, a trois reprises jusqu'au soir. Elle vaudra
a RFI d'etre soupconnee de jouer le jeu de Bedie, sur ordre de l'Elysee.
Elle vaudra aussi a son emetteur FM, situe sur le toit de l'immeuble de la
SIB a Abidjan, d'etre sabote et ses emissions brouillees pendant quatre
jours. " Nous l'avons dit au general Guei, c'est un mauvais proces, proteste
la direction de la "radio mondiale". Pas une seule fois pendant toute la
duree du coup d'Etat nous n'avons eu ni Michel Dupuch ni qui que ce soit de
l'Elysee au telephone. "

Qu'a dit Bedie au cours des cinq minutes que RFI n'a pas diffusees ? " Je ne
crains rien, je suis le president de la Republique. J'ai recu les
porte-parole des mutins. Leurs doleances seront examinees... En
contrepartie, ils m'ont fait la promesse de rentrer dans leurs casernes et
de cesser de provoquer la chienlit dans la ville. Malgre ce general a la
retraite qui se dit etre leur mandataire... Des forces loyalistes existent
dans tous les corps de l'armee. Elles sont majoritaires par rapport aux
factieux, aux agents seditieux, aux fauteurs de troubles. Oui, nous avons
des forces armees avec nous. L'armee ivoirienne s'est toujours illustree par
son sens du devoir et par son loyalisme... Les autres se savent fautifs, ils
ne s'appuient sur aucun principe. Non, ce coup d'Etat n'a aucune
justification. Il n'y a aucune raison pour qu'il y ait un bain de sang...
Une intervention francaise ? Non, je n'ai pas dit cela. La France a deja
condamne energiquement ce putsch. Moi, j'appelle a la resistance civile. Je
vous demande de reprendre ma declaration de ce matin et de la passer jusqu'a
ce que l'ordre revienne. Je vous remercie. " Chienlit, general a la
retraite, appel a la resistance... A l'evidence, Henri Konan Bedie connait
ses classiques. Mais n'est pas de Gaulle qui veut.


http://www.jeuneafrique.com




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