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From "Riton & LÈo" <ritonleo@club-internet.fr>
Date Fri, 25 Feb 2000 21:32:01 +0100
Subject globe_l: L'"Apologie" de l'Anarchiste Nikos Maziotis 2/2

Passons maintenant ý la lutte de Strymonikos. Bien que je ne sois jamais
allÈ lý-bas, je vous relate quelques faits historiques. Les mines que la
multinationale TVX Gold acheta existent depuis 1927 ; Bodossakis en
Ètait le propriÈtaire. Dans ces mines, o˜ d'innombrables accidents de
travail eurent lieu, plusieurs mineurs furent atteints de silicose, une
grËve sanglante Èclata en 77. Les revendications des mineurs
concernaient le salaire, les soins mÈdicaux, les mesures de sÈcuritÈ
dans les galeries. ¿ cette Èpoque-lý, des blindÈs de la police furent
envoyÈs dans la rÈgion, des nombreuses arrestations et condamnations
s'en suivirent, le terrorisme de la loi martiale fut imposÈ dans la
rÈgion. Tout comme aujourd'hui.
¿ un certain moment, cette compagnie fut dÈclarÈe " ý risque ", comme
d'ailleurs tant d'autres. ¿ la fin des annÈes 80, l'Etat - ý travers la
SociÈtÈ MiniËre de DÈveloppement Industriel (METVA) - planifia
l'installation d'une usine de traitement de l'or. En 92, la compagnie
passa sous contrÙle de l'Etat, et en dÈcembre 95 ce dernier vendit
finalement les mines ý TVX Gold. Les habitants de Strymonikos ne
voulaient pas de cette installation. Soixante dix ans d'activitÈ miniËre
causËrent de graves problËmes environnementaux. Cette lutte a une
importance immense, cela a ÈtÈ largement prouvÈ. Les intÈrÍts en jeu
sont internationaux.
Les mobilisations commencËrent au dÈbut de 96. Les habitants bloquËrent
la route nationale Thessalonique-Kavala, ils dressËrent des postes de
garde d'o˜ ils surveillaient l'entrÈe des installations miniËres afin
d'empÍcher le passage des vÈhicules de l'entreprise et le commencement
des travaux de forage. Avec ces pratiques, les habitants dÈclarËrent : "
Nous sommes ici. Vous ne passerez pas ! "
De cette faÁon, ils obligËrent la compagnie ý suspendre provisoirement
ses activitÈs. Le 21 octobre 96, TVX Gold envoya un ultimatum ý l'Etat
grec et au MinistËre du DÈveloppement disant : " Si les travaux ne
commencent pas immÈdiatement, nous partons ". L'un des plus grands
investissements du pays (soixante cinq milliards de drachmes) risquait
ainsi de s'enfuir.
Quand les premiers accidents ÈclatËrent - le 17 octobre - et que les
habitants furent parvenus ý refouler les policiers de la rÈgion, le
prÈsident de la FÈdÈration des Industries Grecques (SEV), Iasson
Stratos, dÈclara : " Ces accidents nuisent au prestige du pays ý
l'Ètranger " . Il avait raison, parce qu' " il n'est pas possible que
deux milles mufles " - c'est ainsi que les politiciens parlent du simple
peuple -, " il n'est pas possible que deux milles personnes nous ruinent
nos investissements, en empÍchant qu'une compagnie ÈtrangËre puisse
s'installer chez nous ; il faut mettre fin ý cette rÈaction ".
Vous comprenez alors, cette lutte n'avait plus un caractËre restreint et
local. Elle avait des rÈpercussions internationales parce qu'elle crÈait
un prÈcÈdent : " Si nous ne pouvons pas garantir un investissement
Ètranger en Chalcidique, aucun autre ne sera possible. Si le peuple se
rÈvolte et n'accepte plus la volontÈ de l'Etat, l'Èconomie est ruinÈe ".

Un an plus tard, ils recommencËrent les travaux, afin de permettre
l'extraction de l'or. En juillet 97, les habitants dÈtruisirent un
trÈpan de l'Institut de Recherches GÈologiques et MiniËres (IGME) et se
heurtËrent ý la police. Au mois de novembre, ils se rassemblËrent et
manifestËrent en direction des mines. Mais depuis le mois de septembre,
si mes souvenirs sont exactes, l'Etat avait envoyÈ sur place des
centaines des policiers de Thessalonique, prÈvoyant les vives rÈactions
des gens. Des CRS d'AthËnes, des EKAM, des vÈhicules blindÈs furent
dÈployÈs dans la rÈgion (rien de tel ne s'Ètait vu depuis 80). Toute une
armÈe d'occupation fut installÈe en permanence. MalgrÈ cette force
rÈpressive, l'Etat n'est pas venu ý bout de la rÈsistance. Le 9
novembre, il y eut des incidents (comme je l'ai dit tout ý l'heure, des
voitures de police, des cars des CRS furent dÈtruits, un trÈpan de la
compagnie bršlÈ, des coups furent tirÈs en l'air pour intimider les
policiers).
Je le rÈpËte, c'est ce contexte qui a inspirÈ ma dÈcision de placer la
bombe au MinistËre de l'Industrie et du DÈveloppement. La lutte avait
dÈjý dÈpassÈ tout caractËre local.
Pour nous, les anarchistes, les luttes et la solidaritÈ ne respectent
pas les frontiËres. Pour mes compagnons et pour moi, les luttes qui se
dÈroulent ý l'Ètranger ont une importance immense.
La guÈrilla des Zapatistes, qui continue au Chiapas depuis 94, est pour
moi trËs importante. C'est une lutte de plus contre le nÈolibÈralisme,
une lutte qui se fait avec des armes, avec des masques... une vÈritable
guerre. Il s'agit d'une violence politique ý laquelle je ne suis
certainement pas opposÈ. Je n'ai jamais dÈclarÈ Ítre contre, n'Ètant pas
ce qu'on appelle un bon citoyen.
Le mouvement des sans terre au BrÈsil - des paysans pauvres qui occupent
la terre des grands propriÈtaires pour la cultiver collectivement - a
aussi pour moi une importance immense.
TrËs important Ègalement, le mouvement des chÙmeurs en France pendant
lequel il y eut de nombreuses occupations et des heurts avec les forces
policiËres, l'hiver 97-98.
Une lutte tout aussi significative est celle qui se dÈroula en Turquie,
lutte analogue ý celle de Strymonikos. Une autre multinationale,
Eurogold, voulu s'implanter ý Pergamos, et plus prÈcisÈment au village
Ovantchik, si ma mÈmoire est bonne. Les paysans turcs, exactement comme
les habitants de Strymonikos, ont empÍchÈ jusqu'ý prÈsent l'installation
de l'usine mÈtallurgique. Ils ont fait Èchouer l'investissement
d'Eurogold, en bloquant la route Izmir-Istanbul, en s'affrontant avec la
gendarmerie et l'armÈe. Remarquable coÔncidence, quelqu'un aussi posa
une bombe au bureau de la compagnie ý Izmir, exactement comme moi.
Alors, comme vous voyez, toutes ces pratiques sont partie intÈgrante des
luttes sociales, partout. Nous sommes fiers de ces pratiques.
En ce qui concerne l'usine de Pergamos, les mÈdias grecs, le MinistËre
de l'AmÈnagement du Territoire, des Travaux Publics et de
l'Environnement (YPEHODE) et le MinistËre de l'EgÈe dÈclarËrent
hypocritement que la construction de l'usine ý Pergamos polluerait la
mer EgÈe. Mais ils ne disaient pas la mÍme chose pour la baie de
Strymonikos. Ce qui vaut pas pour la Turquie, ne vaut pour la GrËce !
Ici apparaÓt clairement l'hypocrisie de l'Etat grec, des mÈdias, des
politiciens.
Je ne crois pas qu'en rÈalitÈ vous me jugiez pour " terrorisme ", ni
pour ma prÈtendue " intention de nuire ý des vies humaines ". Cela n'est
qu'un prÈtexte. En rÈalitÈ, vous me jugez pour tout ce que j'ai dit
jusqu'ý prÈsent, pour ce que je suis. Parce que je suis anarchiste, pour
mes convictions et mon passÈ. Parce que tous ses ÈlÈments sont pour vous
des circonstances aggravantes : " Eh bien, puisque tu Ètais ý
l'occupation de l'ASOEE, puisque tu Ètais insoumis, puisque tu Ètais Áa
et lý...". Selon vous, bien sšr, je n'ai pas une vie honnÍte, mais pour
moi je suis un homme honnÍte. Naturellement, l'histoire des victimes que
prÈtendument j'aurais pu faire n'est qu'un vil prÈtexte.
Au fond, l'Etat a prouvÈ qu'il ne se soucie pas des citoyens. Au
contraire, quand il veut consolider sa domination, il supprime des vies
humaines. Au fond, la seule chose que l'Etat veut, c'est garder le
monopole de la violence (" moi seul, l'Etat, je peux supprimer des vies
humaines "). Seuls les agents de l'Etat, les policiers, tant en uniforme
qu'en civil, les CRS, les EKAM s'arrogent le droit d'assassiner. Qui que
ce soit d'autre, est jugÈ comme criminel. L'Etat, lui, est intouchable.
Chaque fois que des citoyens sont tuÈs, la justice accepte les
allÈgations de la police. Non parce qu'elle les croit, mais pour des
raisons d'intÈrÍt. Elle accepte ceci : " la balle a accidentellement
dÈviÈ de sa trajectoire ", " le coup du policier est accidentellement
parti ", il " Ètait en Ètat de lÈgitime dÈfense ", accidentellement ceci
et cela... tout un tas d' " accidentellement " . Mais, en rÈalitÈ, tous
les exemples citÈs (et d'autres plus prÈcis j'en ajouterai) sont des
assassinats de sang froid. TrËs peu de policiers se sont trouvÈs au banc
des accusÈs. Tous sont dehors, fiers. Fiers!
Un tÈmoin de la dÈfense a dÈjý parlÈ de l'affaire Panagoulis. C'est tout
ý fait vrai que l'attentat de Panagoulis contre le dictateur
Papadopoulos, le peuple grec l'avait approuvÈ. C'Ètait un attentat. Et
alors, qui pouvait-il tuer ? Un dictateur !
Sur ce point, on pourrait facilement argumenter qu'ý cette Èpoque-lý,
c'Ètait une dictature militaire, et qu'il Ètait justifiÈ d'utiliser la
violence comme moyen de pression politique, tandis que maintenant nous
avons une " dÈmocratie parlementaire ", nous avons des " libertÈs " et
des " droits " ! Je ne pense pas que ce soit comme Áa... AprËs tout ce
que j'ai dit, je ne pense pas qu'il y ait de droits. Sur le papier
peut-Ítre, mais en rÈalitÈ, il n'en est rien.
Je vais citer des exemples se situant aprËs la chute de la dictature, la
pÈriode de la prÈtendue dÈmocratie - dÈmocratie entre mille guillemets,
ý mon avis -, pÈriode pendant laquelle il y eut des assassinats pour
rÈprimer les luttes sociales. Cela dÈmontre que pour le peuple rien n'a
changÈ aprËs la fin du rÈgime des colonels (1974). Les faits parlent
d'eux-mÍmes. Les premiËres Èmeutes, si je me souviens bien, se
dÈroulËrent en juillet 75. ¿ AthËnes, en mai 76, les vÈhicules blindÈs
de la police apparurent une fois de plus dans les rues. Une loi
anti-ouvriËre et anti-grËve, la loi 330, fut promulguÈe par Laskaris,
ministre du Travail dans le gouvernement de droite de l'Èpoque. Une
grande manifestation ouvriËre s'ensuivit le 25 mai 76. Il y eut des
affrontements, une attaque contre les locaux du journal Vradyni, des
feux, des cocktails Molotov... Un vÈhicule blindÈ de la police, en
poursuivant des manifestants, tua une femme de 67 ans, Anastassia
Tsivika. Aucun policier ne s'est trouvÈ au banc des accusÈs.
Dans d'autres cas, des projets de loi sont votÈs sans que personne ne
soit consultÈ. Par exemple, en 90, l'accord pour les bases militaires
amÈricaines fut renouvelÈ. Le peuple de Hania, en CrËte, ne l'a pas
acceptÈ. En juin 90, il y eut une manifestation ; les manifestants,
frappÈs par les CRS, rÈagirent en attaquant la police et en bršlant la
prÈfecture d'Hania.
En 1991, si mes souvenirs sont exacts, les agriculteurs du dÈpartement
d'HÍraklion, toujours en CrËte, ont bršlÈ la prÈfecture. Comme vous
pouvez le constater, la violence politique est exercÈe par tous. Par
toute la sociÈtÈ, par toutes ses composantes et toutes les classes. Par
tous ceux ý qui l'Etat porte atteinte. Ce que l'Etat recherche, c'est de
rÈprimer chaque individu de maniËre isolÈe. Vous connaissez bien sšr
cette expression que le premier ministre, Simitis, utilise chaque fois
que des luttes sociales Èclatent : " l'automatisme social ". Et cela
afin de dÈnigrer ces mobilisations - les barrages des routes, les
occupations, et tous ces actes - comme si elles s'opposaient aux
intÈrÍts du reste de la sociÈtÈ, qui selon vos dires rÈagit
automatiquement contre elles. Ce qui n'est pas vrai. Il s'agit
simplement de la tactique " diviser pour rÈgner ", c'est-ý-dire semer la
discorde pour Ètouffer la solidaritÈ. Car la solidaritÈ a une importance
immense. Chacun est rÈprimÈ plus aisÈment quand il est isolÈ.
Quand il y a une grËve et qu'il n'y a pas de solidaritÈ, elle est plus
rapidement brisÈe. Le pouvoir parle toujours d'une " minoritÈ ".
L'argument de l'Etat est le suivant : " c'est une minoritÈ corporatiste
avec des intÈrÍts rÈtrogrades qui sont axÈs contre la modernisation, le
dÈveloppement, les rÈformes " et toutes ces conneries. Et alors ! Il n'y
a pas de groupe qui ne soit entrÈ en conflit avec l'Etat, surtout
pendant les annÈes 90, qui n'ait pas ÈtÈ rÈprimÈ de maniËre isolÈe et
qui n'ait pas ÈtÈ confrontÈ aux arguments : " vous Ítes une minoritÈ ",
" votre lutte s'oppose aux intÈrÍts du reste de la sociÈtÈ ".
Dans tous les cas, c'est ce qui se dÈroula avec les travailleurs des
entreprises " ý risque " qui occupËrent leurs lieux de travail en
1990-91. Avec les ÈlËves qui firent des occupations en 1990-91 et plus
rÈcemment en 1998-99. Avec les employÈs de l'EAS en 1992. Avec les
barrages sur les routes nationales des agriculteurs en 1995 et en 1996.
Avec les mobilisations de profs prÈcaires qui luttËrent contre la
suppression de la liste prioritaire dans les embauches et contre les
examens du Conseil SuprÍme de Choix de Personnel (ASEP). Et
naturellement, avec les habitants de Strymonikos.
Au fond ce qui est visÈ, c'est la solidaritÈ. Et c'est ce qui est visÈ
aussi, ouvertement, dans mon procËs. Pour l'Etat la rÈpression est chose
plus aisÈe lorsqu'elle s'abat sur des individus isolÈs.
Bien sšr, la violence policiËre ne peut suffire pour la rÈpression.
Finalement, j'ai abouti ý cette conclusion - pour revenir ý mon propos -
que la diffÈrence entre dictature et dÈmocratie parlementaire (ou plutÙt
devrais-je dire oligarchie capitaliste), c'est que la dictature
militaire s'impose par le biais d'une violence non dissimulÈe, tandis
que la " dÈmocratie " s'impose plutÙt ý travers le contrÙle mental des
citoyens, gr’ce ý l'arme des mÈdias, gr’ce au mensonge. Car je ne pense
pas que le peuple, en Èlisant ses maÓtres tous les quatre ans, soit
libre. Il les Èlit, mais quand ils ne tiennent pas leurs promesses, il
ne peut pas se dÈbarrasser d'eux.
Dans l'AthËnes de l'AntiquitÈ, ce n'Ètait pas comme Áa. Chacun pouvait
parler dans l'agora, chacun exprimait ses idÈes, qu'elle que fšt sa
position sociale. Et ý tout moment, quiconque occupait une fonction
publique, pouvait Ítre rÈvoquÈ.
Mais la dÈmocratie a prouvÈ Ègalement qu'elle n'a aucun problËme,
lorsque le mensonge et le contrÙle mental ne suffisent plus, ý utiliser
aussi la violence policiËre, ý tuer, ý torturer et ý terroriser.
Finalement je ne suis jugÈ ni parce que j'ai placÈ une bombe, ni parce
que je possÈdais trois armes et dix kilos de dynamite. Au fond, l'armÈe
et la police ont beaucoup plus d'armes que moi et elles les utilisent.
Il n'y a pas de comparaison.
Je n'ai rien d'autre ý dire, si ce n'est que je n'ai aucun regret,
quelle que soit la peine que vous m'infligerez - et vous le ferez. Je
demeure ce que je suis. Je peux mÍme dire que la prison est une Ècole
pour le rÈvolutionnaire. Son endurance, ses idÈes sont mises ý rude
Èpreuve. Et s'il rÈsiste ý cette Èpreuve, il devient plus fort et sšr de
la justesse de la cause pour laquelle il a ÈtÈ emprisonnÈ. Je n'ai rien
d'autre ý dire.

Tribunal díAthËnes, le 7 juillet 1999



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