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From "Riton & LÈo" <ritonleo@club-internet.fr>
Date Fri, 25 Feb 2000 21:31:24 +0100
Subject globe_l: L'"Apologie" de l'Anarchiste Nikos Maziotis 1/2

Líanarchiste grec Nikos Maziotis a ÈtÈ condamnÈ, le 7 juillet 99, ý
quinze ans de prison. Il avait ÈtÈ arrÍtÈ le 13 janvier 98 pour sa
solidaritÈ active avec les habitants de la baie de Strymonikos, dans la
Macedoine grecque, en lutte contre les installations mÈtallurgiques de
traitement de líor de la multinationale canadienne TVX Gold.
Un mois aprËs son arrestation, Nikos, ý travers une lettre adressÈe ý un
journal, assumait la responsabilitÈ díune attaque ý líexplosif contre le
ministËre de líIndustrie et du DÈveloppement, rÈalisÈe le 6 dÈcembre 97
ý AthËnes, comme acte de rÈsistance et de complicitÈ avec les villageois
qui síaffrontaient avec la police venue dÈfendre les armes ý la main
líor et ses nuisances. Líaction revendiquÈe par Maziotis - une bombe qui
nía pas explosÈ - se liait concrËtement ý une lutte qui avait dÈpassÈ
depuis longtemps les limites de la lÈgalitÈ et des nÈgociations.
La vie contre les poisons industriels, la rÈvolte contre leurs
ministËres, líauto-organisation des villageois, un blocage qui arrÍte
les projets díune multinationale sur une route de montagne - tout cela
nous raconte cette ì apologie ì, prononcÈe le 7 juillet devant les
juges. Elle nous parle de solidaritÈ rÈvolutionnaire, de guerre sociale,
des vÈritables terroristes et de ceux qui ne veulent plus de leur
terreur faite de travail et de matraques, de plomb et de mensonges
mÈdiatiques. Elle nous parle Ègalement de líhistoire grecque et des
conflits díaujourdíhui, díune critique globale de la sociÈtÈ ÈtatisÈe et
capitaliste qui níoublie jamais - en dÈpit des tous les avocats du
pouvoir - sa banalitÈ fondamentale : les responsables existent et on
peut les frapper.
Contre toutes les distinctions b’ties sur le code pÈnal (moins un acte
est risquÈ et plus il est juste, ou vice versa), la dÈclaration de Nikos
níest pas líapologie díun acte isolÈ, mais celle díune rÈvolte qui nous
dit : líimportant, ce níest pas la bombe, mais la main qui la pose.




L' " APOLOGIE "
DE L'ANARCHISTE
NIKOS MAZIOTIS

Devant la cour d'assise

Avant tout, je ne veux pas passer pour un garÁon comme il faut dans ce
lieu o˜ j'ai ÈtÈ contraint de venir. Je ne vais pas me disculper car je
ne me considËre pas comme un criminel. Je suis un rÈvolutionnaire. Je
n'ai rien ý me reprocher. Je suis fier de ce que j'ai fait. Les seules
choses que je regrette, ce sont : l'erreur technique qui n'a pas fait
exploser la bombe sur laquelle on a trouvÈ mon empreinte digitale (cause
de mon inculpation) ; et le fait que les armes et la dynamite trouvÈes
ne devaient pas Ítre chez moi, mais ailleurs.
Vous devez prendre en compte le fait que, bien que vous soyez des juges
qui siÈgez plus haut que moi, nous, les rÈvolutionnaires, nous vous
avons jugÈs avant que vous nous jugiez. Nous nous trouvons dans des
camps opposÈs. Donc ennemis.
Les rÈvolutionnaires, la justice rÈvolutionnaire - parce que je crois
que ce tribunal ne reprÈsente pas la justice : c'est la justice entre
guillemets -, les rÈvolutionnaires, disais-je, souvent jugent beaucoup
plus impitoyablement leurs ennemis quand ils ont l'occasion de le faire.

Dans mes propos, je remonterai quelques annÈes en arriËre. Ici vous ne
devez juger aucun de mes crimes. Nous parlerons, au contraire, de crimes
commis par d'autres que moi. Nous parlerons des crimes de l'Etat, des
magouilles, de la justice, de la police...
On peut dire que ma politisation commence par ma participation ý une
manifestation, en 1985. C'Ètait le 17 novembre. J'avais ý l'Èpoque
quatorze ou quinze ans, et un flic, un certain monsieur Melistas, tua un
garÁon de quinze ans, Michalis Kaltezas. Assassinat ! Je ne pris pas
part aux ÈvÈnements de cette nuit-lý, quand la facultÈ de chimie fut
occupÈe et les forces spÈciales de la police expulsËrent les anarchistes
et les jeunes prÈsents. Le lendemain, si je me souviens bien, vu qu'ý
l'Èpoque j'Ètais petit et je n'avais pas d'informations prÈcises, cinq
mille personnes occupËrent l'Ecole Polytechnique. Les occupations furent
organisÈes justement comme rÈaction ý l'assassinat de Kaltezas par la
main du policier Melistas.
Cinq ans plus tard, au mois de janvier 1990, la justice acquitta
Melistas. Par cela je veux signifier que vous, de fait, vous Ítes, du
moins pour moi, les responsables moraux du crime. C'est pourquoi j'ai
mis mille guillemets au mot justice.
En janvier/fÈvrier de la mÍme annÈe, je participai personnellement ý
l'occupation de l'Ecole Polytechnique en riposte ý l'acquittement de
Melistas. Il y eut des accidents, des magasins furent dÈtruits, des
pierres et des cocktails Molotov furent lancÈs... moi aussi j'Ètais de
la partie. Depuis lors je peux dire en toute conscience Ítre anarchiste.

Et quand je dis anarchiste, je veux dire que je suis contre l'Etat et le
capital. Que notre but, c'est la suppression de l'Etat et du rÈgime
capitaliste. Que nous voulons une sociÈtÈ sans classes, sans hiÈrarchie
et sans domination. Que l'Etat soit la sociÈtÈ, voilý le plus gros
mensonge de tous les temps. D'aprËs ce dont je me rappelle, Nietzsche
aussi disait que l'Etat raconte des mensonges, qu'il ment.
Nous sommes ceux qui s'opposent ý la division de la sociÈtÈ en classes,
la division entre ceux qui commandent et ceux qui exÈcutent les ordres.
Cette structure de pouvoir qui faÁonne la sociÈtÈ nous voulons la
dÈtruire, soit avec des moyens pacifiques, soit avec des moyens
violents, mÍme avec les armes, cela ne me pose aucun problËme de
l'admettre.
Je dÈmens les propos de mon frËre qui disait toute ý l'heure que je
n'avais aucune intention d'utiliser pour la guerre sociale les armes
trouvÈes chez moi. Au contraire, elles Ètaient bien pour la guerre.
Elles auraient pu, peut-Ítre, ne pas Ítre employÈes. Mais ce n'est pas
le type d'armes que l'on garde chez soi exprËs pour ne pas les utiliser,
mÍme si cette derniËre ÈventualitÈ peut se prÈsenter. C'Ètaient donc des
armes de guerre et pour la guerre je les emploie... la bombe au
ministËre fut un acte de guerre.
Depuis 1990 jusqu'ý aujourd'hui, j'ai ÈtÈ condamnÈ plusieurs fois pour
mes activitÈs, mes multiples formes d'actions.
J'ai ÈtÈ condamnÈ pour insoumission. Non pas parce que j'avais des
problËmes ý utiliser les armes ou la violence, comme je l'ai soulignÈ
aussi devant le tribunal militaire. Le fait mÍme que l'on ait retrouvÈ
des armes chez moi dÈmontre qu'avoir recours ý la violence ne me pose
aucun problËme ; je ne suis pas du tout pacifiste. Puisque ni la sociÈtÈ
ni l'Etat ne sont pacifiques. Je subis de la violence, je riposte par la
violence.
J'ai fait sept mois de prison militaire. J'ai ÈtÈ condamnÈ pour
dÈsobÈissance et dÈsertion. La deuxiËme fois que j'ai ÈtÈ arrÍtÈ,  je
suis sorti au bout de cinquante et un jours de grËve de la faim.
Je fus arrÍtÈ ý nouveau en 94 pour l'occupation de la facultÈ d'Èconomie
et commerce (ASOEE) avec cinquante et un autres compagnons, tandis que
Georges Balafas et Odysseas Kabouris menaient une grËve de la faim.
Cette occupation-lý fut aussi un acte de solidaritÈ. Dans une situation
o˜ nous ne pouvions nous rassembler nulle part, ni manifester, nous
dÈcid’mes d'occuper une facultÈ universitaire et de l'utiliser comme
centre de contre-information sur la question des prisonniers Balafas et
Kambouris.
Au mois de novembre 95, ils m'arrÍtËrent avec cinq cent personnes lors
de la rÈvolte dans l'Ecole Polytechnique. Cette occupation-lý fut
rÈalisÈe parce qu'il y avait beaucoup de prisonniers politiques (Kostas
Kalaremas, Odysseas Kambouris, Georges Balafas - arrÍtÈ de nouveau a
cette Èpoque-lý -, Spiros Dapergolas, Christoforos Marinos, plusieurs
manifestants de ThÈssalonique interpellÈs lors d'un cortËge chargÈ par
les flics, le 14 novembre). Un autre but de l'occupation Ètait celui
d'exprimer de la solidaritÈ avec les dÈtenus Èmeutiers de la prison de
Koridallos. Pour cela je fus condamnÈ ý un an de prison avec plusieurs
compagnons. Pour toutes ces actions, mes camarades et moi avons assumÈ
nos responsabilitÈs.
Donc, pendant cette dÈcennie, ý partir du moment o˜ je me suis dÈfini
comme anarchiste, j'ai utilisÈ diffÈrentes mÈthodes d'action. J'ai Ècrit
et diffusÈ des tracts, j'ai collÈ des affiches, j'ai participÈ ý des
occupations violentes ou pacifiques. Par exemple, l'occupation de
l'ASOEE n'avait aucun caractËre violent ; malgrÈ tout les forces
spÈciales de la police (EKAM) et les CRS (MAT) nous expulsËrent
violemment. Il y avaient mÍme des agents de l'EKAM cagoulÈs, avec des
pince-monseigneur pour briser les chaÓnes.
Par rapport ý l'Ecole Polytechnique, mÍme si nous n'avons pas jouÈ les
bons citoyens, nous refus’mes les accusations portÈes contre nous. Nous
expliqu’mes les raisons pour lesquelles nous Ètions entrÈs.
Devant le tribunal militaire, en 98, j'ai assumÈ la responsabilitÈ
d'avoir bršlÈ le drapeau grec. Je considËre celui-ci comme le symbole
d'un pouvoir qui est mon ennemi. Chaque fois que je vois un drapeau
grec, je vois mon ennemi, car le drapeau ce sont les policiers, les
militaires qui le portent... C'est le symbole de l'ennemi.
Notre but, dans le cadre de ce combat anti-capitaliste et anti-Ètatique,
c'est de nous lier ý diffÈrentes luttes sociales. Un autre objectif est
celui de pousser, en participant ý ces mÍmes luttes, les choses ý
l'extrÍme, c'est-ý-dire d'exacerber les affrontements entre ces parties
de la sociÈtÈ et l'Etat avec sa police. De pousser ceux qui luttent ý
dÈpasser les cadres institutionnels, les syndicats, les autoritÈs
municipales, bref, tous ces dirigeants qui ne sont pour nous que des
ennemis de la libertÈ humaine. Plusieurs compagnons ý moi, avec leurs
modestes moyens, se sont engagÈs dans beaucoup de luttes ; je vais en
parler de maniËre plus dÈtaillÈe.
En 1989, il y eut une lutte de type Ècologiste ý Aravissos, en GrËce du
Nord, parce que les habitants ne voulaient point que l'Entreprise
Publique des Eaux (EPE) exploite leurs sources pour approvisionner
Thessalonique. Il y eut des affrontements avec la police et les CRS, des
pompes ý eau furent incendiÈes, le feu fut mis partout, des barricades
furent dressÈes... Certains de mes compagnons de Thessalonique
participËrent ý cette lutte, et ils y furent mÍme arrÍtÈs.
En 1990, en GrËce, commence ý s'imposer le nÈolibÈralisme (qui s'Ètait
dÈveloppÈ dans d'autres pays dËs les annÈes 80, avec les gouvernements
de Reagan et de Thatcher), lequel consiste en la dÈ-industrialisation,
le licenciement massif des travailleurs,  la privatisation,  la
limitation de l'Etat social, c'est-ý-dire coupures des salaires, des
fonds de retraite et de l'assistance mÈdicale...
Le premier plan de restructuration concernait les entreprises " ý risque
". En effet, entre 1990 et 1991, de nombreuses usines du pays furent
occupÈes, ý Mantoudi, ý Lavrio et ý Patras. Encore une fois, dans ces
luttes-lý, des compagnons ý nous Ètaient prÈsents avec leurs modestes
moyens. Notamment dans les mines de Mantoudi et dans l'usine de textile
de ParaikÔ-ParaikÔ de Patras.
Par la suite il y eut le mouvement Ètudiant de 90-91, qui fut, ý mon
avis, un mouvement grandiose. Nous rÈussÓmes ý faire abolir la loi du
ministre de l'instruction de l'Èpoque, Kontogiannopoulos, qui fut mÍme
contraint de dÈmissionner. Le gouvernement de droite de l'Èpoque, dans
sa tentative de rÈprimer le mouvement, employa des infiltrÈs pour briser
les occupations, et le rÈsultat fut l'assassinat du professeur
Temponeras ý Patras. Un autre homicide d'Etat.
Nous sommes en train d'ÈnumÈrer des crimes d'Etat, aucun de mes crimes.
Comme riposte ý l'assassinat de Temponeras, il y eut une manifestation
avec des milliers de personnes. Nous aussi y prÓmes partie afin
d'exacerber le conflit. Il y eut des affrontements avec la police et
l'Ecole Polytechnique fut occupÈe ý nouveau pendant deux jours.
Incendies, barricades, destructions... Pendant  cette pÈriode-lý, le 10
janvier 91, un autre crime fut commis. Lors des affrontements, les CRS
provoquËrent un incendie avec des lacrymogËnes dans un grand magasin.
Quatre personnes pÈrirent carbonisÈes. Une fois de plus ce crime resta
impuni. Pas d'instruction. L'affaire fut ÈtouffÈe.
Un an plus tard, mes compagnons - moi, personnellement, je n'y Ètais
pas, mais cela n'a aucune importance - participËrent aux affrontements
dans le dÈpÙt des bus de Votanikos, pendant l'ÈtÈ 92, quand l'Etat
voulut privatiser l'EAS (l'agence des transports publiques d'AthËnes).
Lors des affrontements, mes camarades Ètaient cÙte ý cÙte avec les
employÈs de l'EAS. Par la suite des travailleurs furent incarcÈrÈs sous
l'inculpation de sabotage... Ils avaient dÈtruit les bus de la SEP (une
compagnie de salopards qui avaient rachetÈ les bus). Lý aussi les
anarchistes Ètaient prÈsents avec leurs modestes moyens.
Avant de parler de la lutte des habitants de Strymonikos, je veux parler
des derniers ÈvÈnements concernant la mobilisation, l'ÈtÈ 98, des
professeurs non-embauchÈs, et de la mobilisation Ètudiante pendant
l'hivers 98-99. Une fois de plus nous Ètions de la partie. Un compagnon
- Vassilis Evangelidis - qui a tÈmoignÈ hier a essayÈ de parler de Áa.
Il fut arrÍtÈ lors des affrontements qui eurent lieu en janvier 99 au
cours d'une manifestation Ètudiante.
En gÈnÈral, partout o˜ il y a des dÈsordres, des affrontements, nous
voulons Ítre prÈsents pour attiser les conflits. Pour nous il ne s'agit
pas d'un crime. En vÈritÈ, c'est dans les Èmeutes que s'expriment le "
peuple souverain " dont parlent les politiciens professionnels, car
c'est lý que s'exprime la libertÈ.
Passons maintenant ý la lutte des habitants de Strymonikos. Longtemps
avant d'avoir posÈ ma bombe, d'autres compagnons allËrent dans ces
villages, parlËrent avec les habitants, publiËrent une brochure
concernant leur lutte. Je parlerai tout de suite aprËs, et dans le
dÈtail, de la lutte de Strymonikos. Avant je veux parler de mon acte
mÍme.
A dire vrai, ce qui m'a inspirÈ, pour poser cette bombe, c'Ètait la
considÈration suivante : les habitants eux-mÍmes avaient dÈjý dÈpassÈ
les limites. Si c'Ètait une lutte dans le cadre institutionnel,
semblable ý celles que les syndicats ou les autoritÈs locales essayent
de garder confinÈes ; c'est-ý-dire si elle se bornait ý une protestation
tiËde, je n'aurais peut-Ítre rien fait. Mais les camarades lý-haut - qui
ne sont certainement pas des anarchistes, mais cela ne m'intÈresse pas,
ce sont des individus qui veulent eux aussi leur libertÈ - ont dÈpassÈ
les limites Ètablies. Ils se sont affrontÈs trois fois avec la police -
le 17 octobre 96, le 25 juillet 97 et le 9 novembre 97 -, ils ont bršlÈ
des voitures de flics et des blindÈs de CRS, incendiÈ des vrilles de TVX
Gold, ils entrËrent dans les mines d'Olympiade et ils dÈtruisirent une
partie des installations. Certains ont mÍme menÈ une sorte de guÈrilla.
Souvent ils sortaient la nuit avec leurs carabines de chasse et ils
tiraient des coups en l'air pour effrayer les policiers. Moi, je dis
qu'il s'agit de vÈritables canailles ; c'est eux qui nous ont dÈpassÈ.
La rÈpression s'en suivit, notamment en 97, quand la loi martiale fut
promulguÈe dans la rÈgion. Le chef de la police de Chalcidique Èmit un
dÈcret qui interdisait les manifestations et les rassemblements. Dans
les villages montËrent les EKAM et, pour la premiËre fois depuis 1980,
mÍme les AURE, les fourgons blindÈs de la police. Maintenant ils avaient
envoyÈ les AURE lý-haut, prËs de la Chalcidique ! Je pensais qu'il
fallait faire quelque chose, ici ý AthËnes. Ce n'Ètait pas possible que
les autres lý-haut subissent la rÈpression tandis que nous restions les
mains dans les poches...
Le MinistËre de l'Industrie et du DÈveloppement Ètait l'une des clÈs de
cette histoire. La lutte de Strymonikos est une lutte contre le "
dÈveloppement ", la " modernisation " et toutes ces conneries-lý.
DerriËre de telles expressions, il se cache les profits des
multinationales, les profits de " nos " capitalistes grecs, les profits
des grands chefs de l'Etat et des bureaucrates, de ceux qui touchent des
pots de vin, des entreprises techniques... et de tous ceux-lý. Le "
dÈveloppement " et la " modernisation " dont ils parlent n'ont rien ý
voir avec la satisfaction des besoins populaires. Rien ý voir.
Alors j'ai posÈ une bombe. La justification de cet acte se trouve dans
le texte par lequel la premiËre fois j'avais assumÈ toutes mes
responsabilitÈs. Dans ma dÈclaration de janvier 98, je dis : placer
l'engin signifiait lancer un double message politique. Tout est
politique. MÍme si tu utilises ces moyens, de tels messages sont
politiques. La guerre elle-mÍme est un moyen de pression politique. Dans
ce cas mon acte Ètait un moyen politique, une pratique politique. Avant
tout un message aux habitants des Strymonikos, disant : " Canailles,
vous n'Ítes pas seuls, il existe d'autres individus, fšt-ce ý six cent
kilomËtres, qui s'intÈressent ý votre situation ". Non pour des raisons
personnelles... Dans ces villages, moi, contrairement ý d'autres
compagnons, je ne connais personne. Finalement cette lutte ne se
dÈroulait pas au coin de ma rue, mais la question n'est pas lý.
Simplement mon principe, et en gÈnÈral le principe des anarchistes et
d'autres rÈvolutionnaires, c'est le suivant : la libertÈ sociale est une
et indivisible. DËs lors, au moment o˜ la libertÈ est attaquÈe dans sa
partie la plus infime, c'est comme si elle l'Ètait dans sa totalitÈ.
Quand leurs libertÈs sont bafouÈes, c'est donc mes propres libertÈs qui
sont bafouÈes. Leur guerre sera aussi la mienne, dans une rÈgion o˜ le "
peuple souverain " - c'est encore une expression employÈe par les
politiciens de profession - ne veut pas ce que veulent l'Etat et le
capital, c'est-ý-dire les mines d'or de TVX Gold.
D'ailleurs je savais, comme je l'ai dÈjý dit, que j'allais causer des
dÈg’ts. Oui, j'avais l'intention de faire des dÈg’ts matÈriels. Mais
quels dÈg’ts ? ¿ la vitrine du dÈpÙt o˜ j'ai placÈ mon engin ? J'Ètais
conscient du peu de dommages que j'allais provoquer. Mais mÍme s'ils
avaient ÈtÈ plus graves, cela n'aurait pas changÈ grand chose pour moi.
Parce que la libertÈ ne se mesure pas avec les dÈg’ts matÈriels d'une
vitre, d'une voiture de l'Etat, ou d'une propriÈtÈ de l'Etat. Pour moi
le MinistËre n'est pas une structure qui reprÈsente un bien commun,
comme disent les accusations. Un bien Ètatique, oui, un bien social,
non.
Au fond, mÍme si mon engin n'a pas explosÈ, moi, mon message je l'ai
envoyÈ quand mÍme. Naturellement j'ai ÈtÈ arrÍtÈ parce que j'ai commis
l'erreur de laisser mes empreintes sur la bombe. Je rÈaffirme que, mÍme
si la bombe n'a pas explosÈ, mon message a ÈtÈ nÈanmoins entendu. Vous
l'avez reÁu, mais l'ont reÁu Ègalement les habitants de Strymonikos. Ils
disent que je suis l'un des leurs, mÍme s'ils ne m'ont jamais rencontrÈ.
Il ne peut pas exister une chose plus belle. Naturellement, je le
rÈpËte, je n'ai point ý m'en repentir.
Maintenant je ferai rÈfÈrence aux aspects techniques. Je suis un
rÈvolutionnaire social, et, ý partir du moment o˜ tu te dÈfinis ainsi,
cela veut dire que tu agis pour le bien de la sociÈtÈ. Sur la base de ce
principe, donc, je n'aurais jamais fait du mal ý des citoyens. J'aurais
pu faire du mal ý un policier. Ce sont eux que je considËre comme mes
ennemis. Vous aussi, vous Ítes mes ennemis. C'est-ý-dire que je fais ces
diffÈrences. Je suis en train de faire une Èvidente diffÈrence de
classe. D'un cÙtÈ il y a les ennemis de classe, de l'autre cÙtÈ il y a
tous les autres. Cependant, dans ce cas spÈcifique, je n'avais aucune
intention de faire du mal ni ý monsieur le policier gardien du
MinistËre, ni ý quiconque d'autre ; surtout pas ý un civil.
La mÈthode employÈe en gÈnÈral par les organisations ou les individus,
lors d'actions de ce genre, c'est la suivante : on place la bombe devant
la cible choisie et on tÈlÈphone ý un journal. Moi, j'appelai le journal
Eleutherotipia et je dis : " D'ici une demi heure une bombe va exploser
au MinistËre ", ainsi que l'indique le dossier ; " Une bombe explosera
au MinistËre du DÈveloppement pour la question de TVX et de Strymonikos
". Ainsi, comme il fut dÈmontrÈ pratiquement, la police arriva sur place
; elle bloqua une zone de deux mille mËtres carrÈs - comme l'affirme
l'artificier - interdisant l'accËs aux piÈtons comme aux voitures ; elle
attendit l'explosion de la bombe. Comme ces mÍmes messieurs l'ont
dÈclarÈ, ils attendaient que le dÈlai de sÈcuritÈ expire, c'est-ý-dire
la demi heure que j'avais moi-mÍme Ètablie ! Soit qu'elle eusse explosÈ,
soit qu'elle n'eusse pas explosÈ, il n'y aurait eu aucun danger pour la
vie humaine. Si elle avait explosÈ, il n'y aurait eu que des dÈg’ts
matÈriels. Telle Ètait mon intention. Il n'y avait aucune possibilitÈ
d'erreur, mÍme si elle avait explosÈ avant.
Comme le message Ètait politique et symbolique, je n'avais aucune
intention de provoquer beaucoup de dÈg’ts matÈriels ; c'est pourquoi
j'ai employÈ une petite quantitÈ d'explosif. MÍme si j'avais eu la
possibilitÈ d'employer cinq, sept ou dix kilos d'explosif, je ne l'aurai
pas fait. Tout cela est dÈmontrÈ par le fait que l'on a trouvÈ pas mal
de choses chez moi, et que j'avais donc la possibilitÈ de causer
beaucoup de dÈg’ts, toujours matÈriels. Je ne l'ai pas fait. Si j'avais
pu dÈtruire entiËrement le MinistËre sans faire de victimes, je n'aurais
pas eu la moindre hÈsitation. La seule chose que je regrette, je le
rÈpËte, c'est d'avoir commis une erreur technique.
Maintenant je veux dire autre chose. Cette action je l'ai accomplie
seul, personne d'autre n'Ètait avec moi. Certes, le message revendicatif
Ètait signÈ " GuÈrilleros urbains anarchistes ", mais cela ne signifie
pas qu'il y ešt d'autres personnes ý part moi. C'Ètait une phrase qui
indiquait seulement le milieu d'o˜ je venais. Naturellement, je n'aurais
pas signÈ " Nikos Maziotis ", tout comme je n'aurais pas dit au journal
que c'Ètait moi qui avais mis la bombe lý-bas. J'aurais pu dire "
Anarchistes ", par exemple. Que cela soit clair, j'ai pris tout seul
l'initiative de l'action. Il n'y avait ni groupe, ni organisation, ni
rien de rien. Rien ne dÈmontre l'existence d'une organisation, ou le
fait que j'aurais fourni tel groupe ou telle organisation. J'Ètais tout
seul et le matÈriel Ètait uniquement le mien.
Maintenant je veux parler d'une faÁon plus large du concept de
solidaritÈ, des mes motivations, du sens de cette solidaritÈ.
Je crois que les hommes se sont associÈs, que la sociÈtÈ a ÈtÈ crÈÈe sur
trois bases : la solidaritÈ, la rÈciprocitÈ, le mutualisme. C'est donc
sur ces trois bases que se fonde la libertÈ humaine. Quand tu touches ý
une partie de la libertÈ humaine, c'est comme si tu touchais ý sa
totalitÈ.
Le fait qu'un groupe social, dans un temps et dans un endroit
diffÈrents, entreprenne une lutte - que ce soit des Ètudiants, des
agriculteurs, des communautÈs locales ou des travailleurs - relËve d'une
importance Ènorme pour moi et pour les anarchistes en gÈnÈral. Et cela
n'a rien ý voir avec le fait que mes intÈrÍts coÔncident ou pas avec
ceux du groupe en question. Si quelqu'un rÈclame une augmentation de
salaire, s'il a des revendications corporatives, peu m'importe. Pour
moi, solidaritÈ signifie pleine acceptation et soutien, par tous les
moyens, du droit que les hommes doivent avoir de pouvoir dÈterminer leur
vie comme ils veulent, sans que d'autres, tels l'Etat et le capital,
dÈcident ý leur place.
Dans ce cas prÈcis, c'est-ý-dire dans la lutte de Strymonikos, mais
aussi dans toute autre lutte sociale, ce qui compte le plus pour moi,
c'est que les hommes veulent prendre leur destin en main et n'acceptent
pas qu'un quelconque chef de police, fonctionnaire ou capitaliste dÈcide
de leur vie. Ce qui compte, c'est qu'ils ne veulent pas l'usine, parce
qu'ils n'aiment pas ce qu'on leur impose par la violence.
En ce qui concerne la question de la violence politique, dËs le dÈbut on
a essayÈ de prÈsenter cette histoire comme une affaire de " criminels
rÈpugnants ", de " terroristes qui posent des bombes ý l'aveuglette ",
alors que ce n'est pas vrai du tout.
Si, au niveau thÈorique, le terrorisme, c'est la violence contre des
citoyens et contre une population civile, alors cela vaut exclusivement
pour l'Etat. L'Etat seulement attaque les citoyens, ce qui explique les
mÈcanismes rÈpressifs, les CRS, les EKAM, l'armÈe, les forces spÈciales
; des mÈcanisme qui, de plus, volent le peuple en le taxant pour
financer des professionnels armÈs, des policiers. Ceux-ci ne
s'entraÓnent-ils pas ý tirer sur des cibles ? Pourquoi ont-ils des
armes, sinon pour les utiliser ? Les CRS ne sont-ils pas ÈquipÈs de gaz
chimiques ? Pour les lancer o˜ ? Contre les citoyens lors de
manifestation ou de rassemblement. De fait, seul l'Etat use de la
violence contre les citoyens. Moi, je n'ai usÈ d'aucune violence contre
un citoyen.
Je dirai prÈcisÈment ce que signifie terrorisme.
Le terrorisme, c'est lorsque les manifestations, les occupations, les
grËves sont rÈprimÈes. Lorsque les CRS ont matraquÈ les retraitÈs, il y
a quatre ou cinq ans, devant le palais prÈsidentiel. Lorsque le policier
Melistas a tuÈ Kaltezas. Lorsque Koumis et Kanelopoulou ont ÈtÈ
assassinÈs par les CRS, le 16 novembre 81, pendant la manifestation ý
l'Ecole Polytechnique. Si je me souviens bien, ils n'ont pas ÈtÈ tuÈs
par des balles, mais suite ý un tabassage. Le terrorisme, c'est lorsque
Christos Kassimis a ÈtÈ tuÈ. Je vais en parler de maniËre dÈtaillÈe. En
1977, un groupe de rÈvolutionnaires avait essayÈ de bršler l'usine
A.E.G. ý Agios Ioannis Rentis. C'Ètait un acte de solidaritÈ. A cette
Èpoque-lý, des guÈrilleros de la R.A.F. avaient ÈtÈ tuÈs dans les
cellules blanches de Stammhein, ý Stuttgart, en Allemagne de l'Ouest.
Les cellules blanches ý elles seules sont du terrorisme. Les prisons
sont du terrorisme. Voilý les motivations de l'action solidaire contre
A.E.G. Dans cette tentative, qui a ÈchouÈ, Christos Kassimis a ÈtÈ tuÈ
par deux policiers gardiens de l'usine. De plus, d'aprËs ce que j'ai pu
lire, il a ÈtÈ abattu de sang froid, une balle dans le dos.
Le terrorisme, c'est lorsque des forces spÈciales de la police
envahissent la facultÈ de chimie, en 95, en frappant les anarchistes et
les jeunes. Le terrorisme, c'est lorsque Temponeras est assassinÈ ý
Patras.
Terrorisme, c'est lorsque Christos Tsoutsouvis est tuÈ en 85. Mais cette
histoire aussi a quelque chose de particulier que je veux souligner. A
Christos Tsoutsouvis nous pouvons appliquer la phrase de Thucydide (si
vous le connaissez, c'est l'historien de l'AntiquitÈ qui a racontÈ
l'histoire de la guerre du PÈloponnËse) : " La mort dans la bataille est
un titre d'honneur accompagnÈe par l'acclamation des citoyens ".
Tsoutsouvis a ÈtÈ tuÈ par des policiers, mais non sans qu'il en emporte
deux ou trois avec lui. Pour moi, il Ètait un combattant. Je crois que
la sociÈtÈ en a besoin d'autres.
Le terrorisme, c'est lorsque les citoyens sont tuÈs pendant de simples
contrÙles d'identitÈ. A ce propos aussi je vais citer quelques exemples.
Christos Moratis, un gitan, a ÈtÈ tuÈ dans un barrage de police de la
route, en octobre 96, ý Livadia. Un citoyen sans armes... Cela est un
crime. Mais la justice, qu'a-t-elle fait ? Tout simplement, elle a
fÈlicitÈ le policier.
Le terrorisme, c'est lorsqu'ils arrÍtent Pomaque Ali Yioumphrase pour
ivresse et qu'il est trouvÈ mort dans le commissariat de police. Ils
prÈtendirent qu'il Ètait mort d'un arrÍt cardiaque. Quand, en janvier
91, un rÈfugiÈ politique turque, Souleiman Akiare, fut tabassÈ ý mort,
le ministre de l'ordre publique de l'Èpoque invoqua lý aussi un problËme
cardiaque. Selon le rapport du mÈdecin lÈgiste, pourtant, il Ètait
couvert de bleus.
Le terrorisme, c'est aussi ce mÍme tribunal. Tout procËs contre un
militant ou un rÈvolutionnaire, c'est du terrorisme, un message
d'intimidation adressÈ ý la sociÈtÈ. Je l'ai dit hier dans ma
dÈclaration, quand vous m'avez demandÈ si j'acceptais les accusations.
Je le rÈpÈterai. Ce procËs Ètant politique, son message doit Ítre clair
: quiconque lutte contre l'Etat et le capital sera criminalisÈ, sera
baptisÈ " terroriste ". Pour toute solidaritÈ avec les luttes sociales,
un sort identique : elle sera criminalisÈe et ÈcrasÈe. Voilý le message
de ce procËs, voilý son terrorisme. Terrorisme envers moi, terrorisme
envers les anarchistes, terrorisme envers les habitants de Strymonikos
(un message identique lie mon procËs ý celui qu'ils sont en train de
subir suite ý leur mobilisation). C'est Áa le terrorisme, certainement
pas mon acte de solidaritÈ qui n'a blessÈ aucun citoyen.
Bien souvent, lors des actes de ce type, par exemple lors d'explosions
de petites bonbonnes de gaz, les mÈdias rÈpËtent, parfois avec plus de
zËle que la police, leur mensonge : " ... peu s'en est fallu que nous
ayons des victimes ", et ainsi de suite. Mais en vÈritÈ une telle chose
n'est jamais arrivÈe. Bien sšr, tout cela vise ý donner des fausses
impressions, ý renforcer le consensus social autour de la rÈpression ; ý
me condamner, par exemple, ý une lourde peine. " Nous avons trouvÈ
quelqu'un qui a commis la faute de laisser son empreinte digitale et
nous l'avons arrÍtÈ. A-t-il revendiquÈ son acte ? Eh bien, on va lui en
faire voir maintenant ! ".




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