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Date
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Tue, 29 Feb 2000 00:53:02 +0100
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Subject
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globe_l: morte a 20 ans sur la ´ Route de l'Afrique ª
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Angela, morte ý 20 ans sur la ´Route de l'Afriqueª
La Suisse prÈtend rÈserver les renvois musclÈs vers l'Afrique ý des
requÈrants gÈnÈralement dÈlinquants. La trajectoire d'une jeune NigÈriane
est un cruel contre-exemple.
BÈatrice Guelpa et BÈatrice Schaad Le 3 fÈvrier 2000 Sur la table du salon,
un carton et deux fourres en plastique. Une vie. Tout ce qui reste de celle
d'Angela Gboko, NigÈriane de 20 ans expulsÈe par la Suisse le 8 fÈvrier
1999, morte deux jours aprËs dans un accident de voiture. Caroline Porcher,
l'infirmiËre qui l'a aidÈe durant deux ans ý GenËve, raconte pour la
premiËre fois son histoire par petites touches, comme on le fait pour
contenir l'Èmotion: ´C'Ètait un lundi, elle venait d'avoir 20 ans. Ils sont
venus la chercher ý six heures du matin dans son studio du boulevard de la
Cluse.ª Ce matin-lý, Angela a ÈtÈ mise dans un avion pour le Ghana. A 400
kilomËtres de son pays natal, le Nigeria. Berne venait d'inventer un systËme
´miracleª pour se dÈbarrasser des requÈrants dÈboutÈs: expÈdier les
personnes qui ´refus ent de collaborer avec les autoritÈs ý l'Ètablissement
de leur nationalitȪ vers Accra, transformÈe pour l'occasion en ´camp de
transitª (lire ´L'Hebdoª du 20 janvier). Sur place, ces personnes sont
identifiÈes plus facilement, assure l'Office fÈdÈral des rÈfugiÈs (ODR). Et
puis, selon un fonctionnaire, ´ il y a un effet psychologique: une fois en
Afrique, ils se disent que le jeu est perduª. GenËve-Accra, la premiËre
route de l'Afrique de l'Ouest, celle que la Suisse a pratiquÈe pendant un
an. Jusqu'ý la mort d'Angela. Cette route a ÈtÈ pensÈe dans ses moindres
dÈtails selon l'ODR. Elle est sšre ý 100%. ´Nous avons un contrÙle sur tous
ces cas.ª L'office bernois parle non seulement de ´garantieª mais de
´vÈrificationª. Il assure qu'elle est gÈnÈralement rÈservÈe ý ´des hommes
qui ont commis des dÈlitsª. Prostitution, drogue: c'est de cette faÁon que
les fonctionnaires de Berne justifient cette politique. L'histoire d'Angela
souligne toutes les failles de l'argumentaire.. Ici, il s'agit d'une femme,
et elle n'a commis aucun dÈlit: le dÈpartement genevois de Justice et Police
et les assistants sociaux de l'Hospice gÈnÈral sont formels . Elle ne
faisait pas le trottoir, ne vendait pas de drogue. Au bout de la route, elle
est morte.
L'ami du Ghana
Son parcours en Suisse commence le 22 novembre 1996 ý Chiasso. Elle vient de
vivre deux ans chez son oncle, en France, avec un visa de fille au pair.
Deux ans de ´servitudeª qui l'amËnent ý choisir une autre solution: demander
l'asile en Suisse. Pour l'obtenir, elle commet son premier et seul ´dÈlitª.
Mal conseillÈe, la jeune femme de 17 ans s'invente une identitÈ, emprunte le
nom de Gboko et dÈtruit ses papiers. Elle croit ainsi s'assurer de n'Ítre
jamais renvoyÈe. Elle se trompe. La destruction de ses documents, est le
dÈbut de l'engrenage, le premier pas sur la route de l'Afrique de l'Ouest.
Le 24 fÈvrier 1997, sa demande d'asile est rejetÈe. De recours en recours
Angela passe de foyers d'exilÈs en foyers d'exclus. Mais ce sont deux ans de
sursis. Elle s'intËgre, suit un parcours scolaire normal: cycle
d'orientation, Ècole de culture gÈnÈrale. Celle qui veut devenir infirmiËre
est dÈfinitivement expulsÈe le 8 fÈvrier 1999. En pleine annÈe scolaire.
Dans son Ècole, c'est la stupeur. ´Nous l'attendions pour un examen de
biologie... elle n'est jamais venue, s'indignent alors ses professeurs de
l'Ecole de culture gÈnÈrale Henri-Dunant dans une lettre de lecteurs. On
demande aux maÓtres de former les ÈlËves. Entre autres ý la persÈvÈrance, ý
l'effort dans le travail sur le long terme. Nous les aidons ý poursuivre
leur parcours en fonction de leurs projets professionnels, nous leur
inculquons la cohÈrence... Qu'allons-nous pouvoir dire d'honnÍte aux
camarades d'Angela qui puisse expliquer une telle abomination?ª A l'Hospice
gÈnÈral, les assistants sociaux vont plus loin: ´Il est incongru voire
bizarroÔde qu'elle ait ÈtÈ renvoyÈe ý ce moment-lý compte tenu de son
intÈgration et de la fragilitÈ de sa santÈ.ª Bizarre? Ce n'est que le dÈbut.
Pour la jeune femme commence alors une suite d'incohÈrences. Elle est
envoyÈe ý Accra pour y Ítre identifiÈe. Par l'intermÈdiaire de MaÓtre
Amarteifio, l'homme de confiance payÈ par l'ambassade suisse, elle obtient
un laissez-passer de la reprÈsentation nigÈriane qui lui permet de rentrer
chez elle. En principe le Ghana n'est qu'un ´transitª, la Suisse s'engage ý
rapatrier les personnes dans leur pays d'origine. Or curieusement, dans le
cas d'Angela, Berne dÈcide de la laisser au Ghana. DÈsinvolture? GÈnÈrositÈ,
rÈplique l'ODR. AprËs sa mort, dans un document, l'Office justifie: ´C'est
une fois arrivÈe que l'intÈressÈe a exprimÈ le voeu de rester au Ghana
n'ayant pas de bonnes relations avec sa famille au Nigeria. Elle a en outre
dÈclarÈ avoir un ami ý Accra susceptible de l'hÈberger.ª La Suisse entre en
matiËre sur cet argument ý partir d'un simple coup de tÈlÈphone, comme si le
prÈtendu ami du Ghana avait plus de poids que tous ceux qu'Angela s'Ètait
faits ici. Aujourd'hui, l'ODR nuance, oubliant qu'il affirmait hier encore
s'engager ý ramener le requÈrant chez lui: ´La Suisse n'est plus responsable
lorsque la personne est de retour dans sa rÈgion d'origine, les gens peuvent
choisir o˜ ils veulent Ítre renvoyÈs pour autant que cela soit lÈgal.ª
C'est-ý-dire pour autant que le pays l'accepte. Justification Ètonnante.
D'autant que dans le cas d'Angela, le ´choixª est intervenu sur place.
Lorsqu'elle Ètait au Ghana. La dÈmonstration est sans ambiguÔtÈ. Pour Berne,
l'essentiel est accompli: Angela a quittÈ la Suisse.
Le bout de la route
A l'Èpoque du renvoi, Caroline Porcher, la ´mËre genevoiseª d'Angela, ne
voit pas pourquoi s'affoler. ´J'ai pu la joindre le jour de son arrivÈe au
Ghana. Je lui ai demandÈ: "Qu'est-ce que tu fais ý Accra?" Elle m'a rÈpondu:
"La Suisse paie un avocat pour nous dispatcher dans les diffÈrents pays
africains." Moi, je croyais que Áa correspondait ý une structure, je prenais
Áa du bon cÙtÈ... Je lui disais mÍme: "Fais-toi des sous au Ghana avant de
rentrer chez toi"ª. L'infirmiËre ne se doutait pas que la situation
´contrÙlÈe ª par la Suisse pourrait dÈraper. C'est pourtant bien ce qui
s'est produit. Deux jours plus tard, Angela dÈcËde dans un accident de
voiture en se rendant au Togo, o˜ elle allait chercher une autorisation de
sÈjour pour rester au Ghana. ´Je n'y croyais pas, je l'avais entendue deux
jours plus tÙt...ª Toujours dans ce document Ècrit aux proches de la
NigÈriane aprËs son dÈcËs, l'ODR rÈcuse sa responsabilitÈ: ´(...) nous
sommes certains que vous partagerez notre avis que le dÈcËs d'Angela Gboko
ne peut Ítre imputÈ aux autoritÈs suisses. (...) Il fait suite ý son souhait
de pouvoir demeurer au Ghana.ª Tout a ÈtÈ organisÈ ´sous la supervision de
notre ambassadeª, prÈcise l'ODR aujourd'hui. En fait, l'avocat de
l'ambassade n'Ètait pas prÈsent: dans la voiture, il n'y avait que son
frËre, une escorte ghanÈenne privÈe et un autre requÈrant. Pour les
autoritÈs ghanÈennes la coupe est pleine. Quelques semaines plus tard, elles
font savoir ý l'ambassade helvÈtique que le Ghana ne ´souhaite plus servir
de camps de transit pour la Suisseª. Marc Gerber, numÈro deux de la
reprÈsentation, insiste: ´Dans une lettre de mars 1999, le gouvernement du
Ghana nous a demandÈ de mettre un terme ý cette pratique. Le cas d'Angela y
est mentionnÈ. Il ne voulait plus de gens sans papiers valables.ª Pas de
quoi affoler Berne. Les autoritÈs ghanÈennes ne jouent plus le jeu? Tant
pis! Dans l'intervalle, on a trouvÈ une solution de rechange: Abidjan.. Une
lettre du 4 janvier 1999 signÈe par Seydou TourÈ, directeur ivoirien de la
Surveillance gÈnÈrale du territoire (DST), et adressÈe ý l'avocat de
l'ambassade suisse confirme qu'un arrangement a ÈtÈ conclu. La CÙte-d'Ivoire
accepte ´d'aider la Suisse dans sa mission de refoulementª. La mort d'Angela
n'aura donc servi qu'ý une seule chose: changer de pays, trouver des
fonctionnaires plus coopÈratifs qu'ý Accra Certes, Angela aurait pu mourir
ailleurs. Certes, cet accident n'est qu'un dramatique concours de
circonstances. Il ne s'agit pas d'imputer ce dÈcËs accidentel ý la
ConfÈdÈration. Mais bien de dÈnoncer les failles d'un systËme qui prÈtend
avoir tout ´sous contrÙleª mais dÈlËgue la responsabilitÈ sur la fin du
parcours, qui affirme suivre le renvoi des requÈrants jusqu'au bout mais ne
peut en rÈpondre. La ´Route de l'Afriqueª est celle de l'hypocrisie.
Faudra-t-il un nouveau dÈrapage pour que Berne change de politique?
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G L O B E
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