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cerinsi@samizdat.net
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Date
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Sat, 27 May 2000 12:10:01 +0200
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Subject
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globe_l: "SOIXANTE CARTES SUR LE SITE DU ´ MONDE DIPLOMATIQUE" : Regards politiques sur les territoires
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SOIXANTE CARTES SUR LE SITE DU ´ MONDE DIPLOMATIQUE ª
Regards politiques sur les territoires
(26 mai 2000)
´ Le Monde diplomatique ª met en ligne sa collection
cartographique. Des questions transversales (pauvretÈ,
conflits, organisations internationales, criminalitÈ
financiËre...) aux analyses rÈgionales, un ensemble de
documents visuels qui combinent les donnÈes Èconomiques,
dÈmographiques et politiques essentielles.
http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/
´ La cartographie vit de cette sorte d'ambiguÔtÈ qui la
situe ý la confluence de la science exacte et de l'art. ª -
Jean-Claude Groshens
La carte, reprÈsentation en minuscule d'immenses
territoires, est une image tronquÈe de la rÈalitÈ, une sorte
de mensonge par omission. La reprÈsentation symbolique exige
le sacrifice d'une partie de l'information : tout ce qui se
passe sur des centaines de milliers de kilomËtres carrÈs ne
peut tenir sur une petite feuille de papier. Le crÈateur de
la carte fait un choix thÈoriquement raisonnÈ des ÈlÈments
qu'il veut reprÈsenter. En prÈsence des donnÈes, il doit
synthÈtiser, simplifier, renoncer. Sa carte finale est un
document filtrÈ ; il l'a censurÈe d'ÈlÈments parfois
importants, mais le plus souvent jugÈs secondaires ou
inutiles ; il l'a simplifiÈe pour la rendre lisible ; il y a
imprimÈ sa maniËre de concevoir le monde et sa sensibilitÈ.
La carte peut ainsi faire l'objet de toutes sortes de
manipulations, des plus grossiËres aux plus discrËtes. Elle
est Èminemment politique, et considÈrÈe comme un efficace
outil de propagande par le pouvoir. Prenons quelques
exemples dans le monde arabe. M. Saddam Hussein, au
lendemain de l'invasion du KoweÔt par ses troupes en aošt
1990, apparaÓt ý la tÈlÈvision avec la nouvelle carte
officielle de l'Irak intÈgrant le KoweÔt - qu'il prÈsente
alors comme sa nouvelle province. La gÈographie,
prÈtend-il, lui donne raison : le KoweÔt, situÈ au dÈbouchÈ
du Tigre et de l'Euphrate, fait ´ naturellement ª partie de
l'Irak... Pour sa part, Rabat a pendant longtemps censurÈ
toutes les publications dans lesquelles les cartes
distinguaient le Maroc du Sahara ex-espagnol. Un trait, mÍme
tiretÈ, entre les deux territoires, et la diffusion Ètait
interdite. Dans les pays du monde arabe, la simple
reprÈsentation ou mention du nom d'IsraÎl sur une carte
Èquivalait ý l'interdiction pure et simple de la
publication. Soit on remplaÁait le mot IsraÎl par celui de
Palestine et IsraÎl disparaissait de l'index, soit on
plaÁait judicieusement un graphique en lieu et place du
pays. La question Ètait ý ce point sensible que les services
commerciaux des Èditeurs scolaires franÁais intervenaient
directement auprËs des responsables de collection pour
imposer une reprÈsentation acceptable du Maroc et du
Proche-Orient, et Èviter ainsi de perdre d'importants
marchÈs dans les pays francophones d'Afrique du Nord.
La reprÈsentation des frontiËres politiques est un exercice
pÈrilleux. On aurait tort de penser qu'il existe des
reprÈsentations ´ officielles ª du dÈcoupage politique du
monde. MÍme les divisions cartographiques des diverses
agences des Nations unies prennent toujours le soin
d'indiquer sur les cartes que la reprÈsentation des
frontiËres est symbolique, et ne relËve pas de leur
responsabilitÈ... Pour mÈnager les susceptibilitÈs, la
Banque mondiale a rÈcemment ´ dÈconseillÈ ª ý son service
cartographique de produire des cartes de la PÈninsule
indienne qui mettraient trop prÈcisÈment en Èvidence la
rÈgion du Cachemire... Entre les diffÈrentes visions
nationales et internationales, le cartographe n'a que
l'embarras du choix. La Chine vue par la Chine ne se
superpose pas ý la Chine vue par l'Inde.
Mais la cartographie n'est pas seulement la reprÈsentation
de frontiËres : elle est aussi une image qui montre les
rapports de l'Ítre humain au territoire. La carte permet, d'un
seul coup d'oeil, d'apprÈhender la logique d'organisation et
d'occupation de l'espace, l'Ètendue et les consÈquences des
conflits. Seule la carte des Grands Lacs dressÈe fin 1994 ý
la suite du gÈnocide rwandais permettait de rÈaliser que les
populations effrayÈes avaient parcouru des centaines de
kilomËtres dans la brousse avant d'Ítre accueillies dans les
camps de rÈfugiÈs. La dimension historique complËte aussi
nos savoirs : on ne peut comprendre les questions africaines
sans relire les cartes de la colonisation. On ne comprend la
rÈpartition actuelle des grandes familles ethnolinguistiques
qu'avec les cartes des anciens grands empires.
Cette double approche, gÈographique et historique, affine
notre connaissance des grands problËmes contemporains. Elle
nous permet sans doute de nous tromper un peu moins lorsque
nous tentons d'en trouver la signification. La carte nous
invite ý visualiser, avec la distance nÈcessaire, les
Èvolutions territoriales, Èconomiques et politiques. Elle
dresse le dÈcor et positionne les acteurs, nous aide ainsi ý
poser les questions - plus qu'elle nous donne les solutions.
Elle nous invite ý beaucoup de retenue dans nos analyses,
les liens entre les phÈnomËnes cartographiÈs Ètant souvent
incertains. La carte publiÈe est avant tout un message
complexe et subjectif qu'un auteur offre ý ses lecteurs. A
nous d'en proposer une lecture lucide et critique.
PHILIPPE REKACEWICZ.
Philippe.Rekacewicz@Monde-diplomatique.fr
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