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From | collectifsansticket@altern.org |
Date | Wed, 18 Apr 2001 23:19:23 +0200 |
Subject | globe_l: Visite de condolÈances ý Nazareth |
Compte-rendu personnel d'une visite de condolÈances de six femmes du mouvement israÈlien Nouveau Profil au domicile de la famille Yazgad, dont le fils, Wissam, a ÈtÈ tuÈ pendant Yom Kippur (13 citoyens palestiniens d'IsraÎl ont perdu la vie pendant les premiers jours de la nouvelle intifada).
Aujourd'hui nous sommes
allÈes ý Nazareth rendre visite ý une famille endeuillÈe. Je sais que ce terme
n'est pas acceptÈ pour dÈsigner les familles palestiniennes qui ont perdu un
fils ou une fille.
Il confËre un statut
symbolique. Habituellement, il est rÈservÈ aux juifs. Parfois il s'applique aux
citoyens palestiniens, lorsque le dÈcËs concerne un militaire, un garde
frontiËre ou un policier mort en service ou lorsqu'il est survenu des suites
d'une explosion visant des passants civils. Mais normalement vous n'entendez pas
prononcer les mots "famille endeuillÈe" quand il s'agit d'un jeune abattu par la
police israÈlienne ou par des manifestants/hooligans juifs qui passent ý
l'action en prÈsence et sous la protection de la police israÈlienne. Ne parlons
pas des Palestiniens tirÈs par l'armÈe dans les territoires
occupÈs.
Dans notre sociÈtÈ, "Famille
endeuillÈe" est une expression prise en otage. Elle rÈsonne souvent comme une
distinction, une dÈcoration. Elle est censÈe traduire un type particulier
d'apprÈciation, une marque de sÈrieux, un hommage ý la famille qu’elle dÈsigne.
L'emploi de ces mots est l'une des maniËres (et il en existe beaucoup dans notre
sociÈtÈ) de faire agoniser le sens, de faire participer une mort soudaine,
absurde, aveugle et stupide ý une histoire collective qu'on nous dit glorieuse.
Ces mots sont l'un des instruments par lesquels notre sociÈtÈ fait passer la
mort - la sienne et celle de ses proches - pour un service rendu ý la
communautÈ. L'une des maniËres d'accepter la mort violente comme une option, ni
controversÈe ni dÈmente.
Je n'emploie jamais ces
mots. Ils me semblent infectÈs, hypocrites, boursouflÈs, manipulateurs,
nuisibles. SupposÈs m'amener ý regarder les guerres et la violence avec respect
(ce que je faisais jadis). A les considÈrer comme
nÈcessaires.
Mais ce matin, sur le chemin
vers Nazareth, ces mots me sont venus ý l’esprit : j’Ètais en route pour rendre
visite ý une famille endeuillÈe. Parce que le fait qu’on ne qualifie pas une
famille palestinienne de cette faÁon d’ordinaire en IsraÎl souligne un peu plus
encore la profondeur du racisme dans la sociÈtÈ juive israÈlienne, avec un
clartÈ extrÍme et minutieuse.
La semaine passÈe, avant Yom
Kippur (le Jour du Pardon, qui suit Rosh Hashana, le nouvel an juif), lors d’une
rÈunion de NP, nous avions dÈcidÈ de nous rendre dans au moins une des familles,
d’aller de cette maniËre aussi ý contre-courant des ÈvÈnements qui nous
entourent. Dans la nuit d’hier j’ai appelÈ Nabila, une de mes amies qui est
aussi trËs liÈe avec Haggith, et je lui ai dit que nous voulions aller ý
Nazareth. Je pensais seulement lui demander des instructions sur la route ý
suivre, mais Nabila a offert de nous accueillir ý l’entrÈe de Nazareth et de
nous accompagner jusqu’ý l’une des familles.
Nabila est une femme fort
occupÈe et particuliËrement active dans sa communautÈ. Elle dirige un centre de
formation pour Èducateurs. Au cours des derniers jours elle a assurÈ
l’organisation d’un centre d’information sur les incidents ý Nazareth et dans la
communautÈ palestinienne d’IsraÎl. Elle a aussi ouvert cette semaine une
“hotline” tÈlÈphonique pour les enfants et les familles confrontÈs ý des
traumatismes ou accablÈs par
l’anxiÈtÈ ou des troubles Èmotionnels dus aux ÈvÈnements.
MalgrÈ tout et bien que je
ne le lui ai pas demandÈ, Nabila a pris le temps de nous rencontrer et de venir
s’asseoir avec nous au domicile du dÈfunt. Elle se dÈpense depuis des dizaines
d’annÈes en faveur d’un Etat et d’une sociÈtÈ humains et Ègalitaires. C’est une
Palestinienne fiËre, une femme solide et libÈrÈe, confiante dans la capacitÈ
qu’a chaque femme et chaque homme de transformer la sociÈtÈ par la force d’une
action continue, d’un engagement sans compromis, de l’intÈgritÈ personnelle et
de la chaleur humaine.
Les derniers ÈvÈnements
l’ont amenÈ ý mettre en relief combien il est important ý ses yeux de continuer
ý Ècouter et ý faire entendre, au sein de la communautÈ palestinienne en IsraÎl,
la voix des femmes et des hommes juifs qui luttent comme elle pour le droit de
tous ý la libertÈ, ý la vie et ý la dignitÈ.
Nabila nous a d’abord menÈes
au tabernacle funËbre o˜ les hommes de la famille Yazback Ètaient assis avec de
nombreux invitÈs, des hommes Ègalement. Nous y Ètions les seules femmes. Six
femmes du mouvement “Nouveau Profil”.
Nous avons ÈtÈ accueillies
comme des invitÈs de marque. Les membres de la famille et les amis se levËrent
pour nous saluer, pour nous prÈsenter au pËre en deuil. Le frËre, l’oncle et le
grand pËre du disparu quittËrent leur siËge et nous serrËrent la main, comme ils
l’auraient fait ý l’occasion d’un mariage.
Ils nous racontËrent entre
autres choses que Wissam, qui avait ÈtÈ tuÈ samedi, devait se marier dans un
mois. Ils nous montrËrent le podium installÈ pour les noces de son frËre le mois
prÈcÈdent et laissÈ en l’Ètat depuis, pour Èviter d’avoir ý le remonter. Dire
que cette estrade en attente d’un mariage servira pour des funÈrailles, voilý
qui sonne comme de l’opportunisme de reportage tÈlÈ. Mais c’Ètait la rÈalitÈ. Le
corps du jeune homme y reposait.
Nous nous sommes briËvement
prÈsentÈes. Nous avons dit que nous venions au nom d’une organisation de femmes
dont la dÈmarche vise ý rÈduire le rÙle de l’armÈe dans le pays et ý transformer
IsraÎl en Etat civil, civil-isÈ. J’ajoutai que nous avions honte de ce qui
s’Ètait produit et de ce qui arrive aujourd’hui dans le pays aux Palestiniens.
Je voyais comment chacune d’entre nous cherchait ses mots, s’efforÁait de ne pas
tenir des propos creux et automatiques. Sans grande chance d’y
parvenir.
Nous nous sommes assises et
nous avons surtout discutÈ avec l’oncle de Wissam Yazbak, professeur ý
l’universitÈ de HaÔfa. Il nous a expliquÈ que Wissam Ètait sorti au moment o˜ il
avait entendu la foule descendre des hauteurs de Nazareth (la partie de la ville
majoritairement juive). Il avait 25 ans, travaillait avec succËs comme
entrepreneur en terrassement et Ètudiait aussi la gestion commerciale. On
l'avait atteint mortellement ý l'arriËre du cou. L'oncle nous dit que Wissam
avait cherchÈ ý persuader la foule palestinienne de se retirer vers la ruelle,
en direction du quartier est. Non loin de lui, tentant aussi de sÈparer, de
s'interposer, de prÈvenir les heurts, se trouvaient le dirigeant du ComitÈ Arabe
de Surveillance, le maire de Nazareth et des membres arabes de la Knesset. Tous
Ètaient arrivÈs sur les lieux entre une demi heure et une heure aprËs que
l'Èmeute juive ait fait mouvement vers le quartier est de Nazareth. Des
policiers armÈs se tenaient dans le dos de Wissam. DerriËre eux s'agitait la
foule juive en furie. Deux Palestiniens furent tuÈs cette nuit-lý. Aucune balle
n'avait ÈtÈ tirÈe en direction d'un juif.
Nabila prÈcisa que la
famille avait vu que la balle avait ÈtÈ extraite du cou de Wissam. Il existe des
photos dÈtaillÈes du projectile et de son point d'impact. Le centre
d'information a soigneusement recueilli les donnÈes relatives aux dommages
corporels subis ý Nazareth par les citoyens palestiniens d'IsraÎl. Nous avons
demandÈ ý Nabila de nous envoyer ce matÈriel car nous avons l'intention d'exiger
une enquÍte approfondie.
Voici une semaine nous
avions dÈjý commencÈ ý nous Èlever contre les agissements de la police. Nous
avons adressÈ une lettre vigoureuse au Ministre de la SÈcuritÈ IntÈrieure,
Shlomo Ben Ami, le seul membre du gouvernement Barak dont certains parmi nous
attendaient quelque chose. A sa nomination nous lui avions Ècrit pour le
fÈliciter, pour lui faire connaÓtre l'importance ý nos yeux de sa dÈsignation
comme ministre.
Pendant la semaine
quelques-uns d'entre nous l'ont eu au tÈlÈphone. Nous avons appelÈ plusieurs
fois, sans laisser tomber. Le comportement de la police ces jours-ci - non, je
devrais dire sa politique - est la plus grave Èvolution qui ait eu lieu en
IsraÎl depuis des annÈes. Il est arrivÈ par le passÈ que des policiers juifs
israÈliens tuent des citoyens palestiniens d'IsraÎl. Mais jamais jusqu'ý un tel
point. Pas aussi systÈmatiquement.
Ces derniers jours, la
police israÈlienne arrache violemment le camouflage quasi-dÈmocratique que nous
essayons depuis des annÈes de rendre plus consistant qu'un camouflage. C'est un
pas dans une direction qui pourrait se rÈvÈler plus encore source de violence.
Une violence carburant d'une nouvelle violence. Volontairement ?
Oui.
Bien entendu, des
Palestiniens ont causÈ des dÈgradations ý l'intÈrieur d'IsraÎl et ont pris part
ý des manifestations sauvages. Des juifs se sont dÈpÍchÈs de suivre le mÍme
chemin et se sont dÈchaÓnÈs de la mÍme faÁon.
Personne n'a tirÈ sur
eux.
Avant la visite ý Nazareth
dÈjý nous avions convenu de ne pas rel’cher la pression sur la police. Nous nous
refusons ý laisser dans le vague les ÈvÈnements qui ont entraÓnÈ la mort et les
blessures de civils.
Nous sommes dÈterminÈes ý ne
pas laisser ces faits se perdre au milieu d'un barrage de mots et de ruines. Des
Ítres humains, vivants et bien portants, ont ÈtÈ abattus. Des femmes et des
hommes. Quelqu'un les a visÈs. Qui ? Quelqu'un a empoignÈ une arme et les a
fauchÈs. La police Ètait prÈsente. L'organisation chargÈe de protÈger les
civils, de faire respecter la loi et l'ordre public. Qu'est-ce que les policiers
ont fait ý cette occasion ? Que faisaient-ils, prÈcisÈment, sur place ? Qui
Ètait responsable de leur comportement ? Qui avait dÈcidÈ ce qu'ils feraient ?
Je veux savoir. Avec prÈcision. Nous voulons savoir avec
prÈcision.
Cette fois-ci personne ne
pourra nous dire "il n'y a pas de preuve" ou "les faits sont vagues". Toutes les
preuves sont disponibles. Je sais ce qu'insister signifie. Je sais ce que Áa
implique. J'en connais le prix. Une sÈrie interminable d'appels tÈlÈphoniques
humiliants. Des lettres, des fax - continuellement ignorÈs. Des courriers de
rÈponse courtoisement creux. J'ai fait ce genre de chose dans le passÈ. Je sais
combien de semaines et de mois, combien de patience et de frustration sont
nÈcessaires pour insister face au glacis bureaucratique.
Une quasi-dÈmocratie. Ils
vont s'ingÈnier ý nous tourner en dÈrision. A nous rendre insignifiantes et
ridicules. Les femmes ne comprennent pas, elles sont hystÈriques. Nous sommes
entÍtÈes.
Nous sommes des sorciËres.
Nous n'abandonnerons pas.
AprËs avoir rendu visite aux
hommes endeuillÈs, nous sommes allÈes dans la maison o˜ les femmes Ètaient
rÈunies. L'accueil lý fut moins dÈmonstratif. L'affliction et la douleur y
Ètaient plus perceptibles. La mËre de Wissam, assise sur une chaise, serrait
dans ses bras son plus jeune fils et sa fille cadette.
Le peu de temps que je les
ai vus, les deux enfants sont restÈs assis lý, les bras de leur mËre autour
d'eux, presque comme des poupÈes, figÈs. Immobiles, comme s'ils tenaient ý ne
pas esquisser par accident le moindre geste inconvenant, quelque chose qui
aurait paru dÈplacÈ aprËs le meurtre d'un grand frËre.
Leur mËre parla trËs peu.
Les autres femmes, en revanche, nous ont transmis leurs sentiments pÈnibles :
dÈsarroi, dÈsespoir, une grande crainte.
"Qui nous protËge ?" demanda
l'une d'elles.
"Il n'y a personne pour nous
protÈger. Nous sommes complËtement exposÈs".
Rela Mazali
(rel@inter.net.il), le 11 octobre
2000.
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